Je n’en peux plus des « notre manche de couteau est fait dans des cornes de mammouth, que le pain a été roulé sous les aisselles comme le faisait Tata Gertrude, que le lait, ben il sort du pis d’une vache qui a brouté de l’herbe bio..etc.. »
Alors évidemment, je force le trait avec ces faux exemples, mais je n’en peux plus des discours sur-répétés à toutes les tables lors d’un service parce qu’un jour, il y a un ou deux qui ont expliqué qu’il fallait raconter des histoires ou vivre des expériences et ne plus simplement bien manger au restaurant.
En réalité, j’en suis arrivé à la conclusion que le storytelling, c’est le palliatif au goût de l’assiette.
Et comme il y a moins de goût et plus que des nuances dans les assiettes contemporaines, une grande majorité de tables a trouvé cette solution pour continuer d’exister.
Pour le goût, les sauces n’ont plus la profondeur d’avant, par manque de transmission entre générations où la cuisine doit aller vite maintenant dans sa préparation, nous sommes sur des jus courts où l’on ajoute du vinaigre pour « twister le plat » comme disent les blogueurs savants.
Pour les saveurs, a priori certains ont eu une révélation avec la sauce barbecue des potatoes du Mcdo car le nombre de cuissons barbecue est maintenant une règle de la cuisine pour une grande majorité de produits et d’autres ont dû fréquenter des bars à chicha pour le côté fumé des plats sûrement pour nous faire voyager lors d’une expérience.
Pour les cuissons, elles sont en grande majorité en basse température et sous vide où la mâche s’est perdue au passage.
Enfin le storytelling a inventé le locavore : cette idée que la gastronomie doit être à moins de 200 kilomètres de ton établissement, où le produit proche prime sur le produit exceptionnel. Par exemple la Silure devient un poisson tendance qui est pourtant le poisson réputé pour vivre longtemps dans les eaux polluées où sa proportion à venir bioconcentrer les métaux lourds ou les métalloïdes en font sa qualité. Alors évidement faire venir un turbot d’atlantique nord-est, ce n’est pas bon pour la planète…
Enfin, la cuisine est devenue une culture de l’œil pour Instagram avant d’être une culture du goût.
Dans le storytelling, le chef est même devenu roi à la place du client. Les cartes des restaurants ont laissé place à des menus imposés sans choix. Nous devrions même plus dire Maîtres restaurateurs, mais Maîtres Traiteurs, puisque tout est vendu sous forme de production standardisée. Maintenant le client à même le droit à un horaire de départ de sa table au lieu de le conseiller sur un horaire d’arrivée.
Je pense que tout a démarré, il y a 5-7 ans, quand certains ont pensé que les chefs médiatiques montaient plus facilement dans les distinctions des guides en racontant des histoires. Alors, il fallait telle agence de presse, ou d’agence de communication, ou tel blogueur à sa table, ou plus de Followers sur Instagram. Mais il faut accepter que les actions de communication permettent uniquement de vendre mieux et vendre plus : pas de faire progresser l’assiette.
Brillat-Savarin avait cette jolie formule : “Les connaissances gastronomiques sont nécessaires à tous les hommes puisqu’elles tendent à augmenter la somme des plaisirs qui leurs est destinée.”
La connaissance, ce n’est pas l’histoire qu’on raconte, c’est maîtriser des savoirs, utiliser de la nourriture pour créer du bonheur et mettre plus de cœur dans l’assiette pour simplement bien manger.