LA GUERRE DES ETOILES : MARC VEYRAT POURSUIT EN JUSTICE LE GUIDE MICHELIN.

Ce mois-ci est sortie la saison 5 – épisode 12 de la série préférée des passionnés de gastronomie « La Guerre des étoiles » dans laquelle le Chef Marc Veyrat poursuit en justice le Guide Rouge, plébiscité par ce dernier quelques années plus tôt.

Derrière cette polémique qui a feuilletonné le quotidien médiatique depuis février, plusieurs grandes questions se posent :

Marc Veyrat est-il toujours audible, le Guide Michelin est-il toujours crédible, et les autres Chefs sont-ils devenus invisibles ?

Cette semaine, lors de son interview au Petit Journal, le Chef Veyrat a tenté d’expliquer qu’il poursuivait en justice le Guide Michelin afin « que toute la lumière soit faite sur les raisons exactes » de ce déclassement.

Comprendre est nécessaire pour accepter. Chaque deuil passe par une phase de compréhension, puis d’acceptation. Sa requête, bien que polluée par un manque de préparation flagrant lors d’une prise de parole en prime time dans une émission très regardée, est jusqu’ici parfaitement audible. Comment accepter d’être noté à trois étoiles en 2018, et d’être évalué à deux étoiles l’année suivante sans avoir changé de lieu, de brigade, de signature, de produits, voire même de carte ?

Tout ce qui est incompréhensible est inacceptable.

Mais pourquoi celui qui admet avoir un profond respect pour le Guide Michelin, s’enlise dans des explications qui rendent son discours totalement inaudible ?
Dire que les inspecteurs sont incompétents alors qu’ils l’étaient parfaitement lorsqu’il a reçu l’année précédente une troisième étoile, ou que tel Chef a gagné ses 3 étoiles pour telle ou telle mauvaise raison, murmurer que ce retrait serait politique, sont autant de raisons qui discréditent la rationalité de cette contestation.

L’émotionnel l’emporte sur le rationnel.

Le Guide Michelin a toujours évalué les établissements avec anonymat, discrétion et respect pour ses lecteurs.

Mais quels sont ses nouveaux lecteurs ? N’ont-ils pas évolué eux aussi ? Qu’attendent-ils lorsqu’ils s’offrent un trois étoiles ? Est-ce qu’un trois étoiles d’hier, représente toujours l’exceptionnel pour une clientèle plus jeune, plus connectée, plus avide d’expériences que d’une cuisine parfaitement exécutée ?

Est-ce que le Guide Michelin, pour renouer avec cette nouvelle génération qui a « foutu le camp » chez Tripadvisor, ne cherche t’il pas maintenant à être découvreur de talent, au détriment d’une institution qui confirme l’excellence pour sauver son avenir ?

Oui, la clientèle est maintenant férue de lieux tendances voire éphémères et de moins en moins de lieux de légende, alors pour répondre aux attentes de leurs nouveaux lecteurs, le guide casse les codes de son classement malheureusement sans expliquer les raisons aux professionnels. Monsieur Barbot, Monsieur Haerberlin, Monsieur Orsi, Monsieur Dutournier, Monsieur Lassausaie..etc. sont-ils au final juste des victimes collatérales d’une société commerciale qui évolue ?

Est-ce que le Guide Michelin serait même prêt à sacrifier dans ses prochaines décisions des génies culinaires ou des monuments pour coller à son marché ?

Ou alors c’est tout autre chose : le Guide Michelin a décidé de sanctionner les maisons qui auraient perdu la flamme de l’époque pionnière d’une entreprise, celle où les chefs (cheffes) inventent avec audace et en permanence l’expérience client, cassent des codes pour devenir uniques, des maisons rétrogradées qui sans le vouloir se seraient enlisées dans les congratulations perpétuelles sans se rendre compte que le monde à changé ?

Pour toutes ces raisons, comprendre, accepter et soutenir le Guide Michelin, c’est aussi comprendre que les clients des restaurants gastronomiques changent, que chaque établissement doit se remettre chaque année dans une perspective pionnière, que rien n’est jamais acquis et que tout est à refaire maintenant chaque année en février. A l’avenir, il sera presque interdit de fêter vos 5, 10 ou 50 ans d’étoiles, car depuis cette année, elles ne comptent que pour 365 jours.

Il me reste toutefois une question par rapport à cette nouvelle notion de « Millésime ».

Une question d’entrepreneur, d’investisseur, de responsable vis-à-vis des banques qui font confiance à ce secteur d’activité : Ne doit-on pas se demander quel va être l’avenir de la gastronomie française si toutefois un établissement pouvait obtenir une distinction une année, et la perdre l’année suivante.

Comment les banques vont-elles réagir quand un établissement devra faire des investissements sans pouvoir garantir l’avenir financier de ce dernier ? Est-ce que la gastronomie française va au final ne plus appartenir qu’à une poignée de groupes financiers qui auront les moyens de tenir en cas de tempête ?

La profession souffre déjà d’une crise de recrutement du personnel. Comment pourront-ils recruter pour une année, comment une brigade pourra-t-elle rester soudée pour récupérer une étoile perdue une autre année ? Cela ne va-t-il pas encourager encore davantage l’humain à s’investir sur du très court terme et que nous rentrions définitivement dans une société de l’accélération ?

Nos Chefs sont tous concernés. Notre gastronomie et le rayonnement de celle-ci dans le monde sont mis en péril par ce triste feuilleton. Pourquoi ne les entendons-nous pas ?

Pourquoi le Guide français, référence unique et incontestée dans le monde n’est-il pas plus soutenu par les chefs ?

Les Chefs auraient-ils peur ? Peur d’être les prochains demain ? Peur d’être à leur tour dans la même incompréhension que celle qui s’abat sur Marc Veyrat ? Pourquoi ne sont-ils pas choqués par certains propos de l’homme au chapeau qui dans cette descente aux enfers essaie d’expliquer que d’autres mieux notés que lui valent moins ? Encore une fois personne ne réagit !

Je n’ai pas la réponse, mais je sais que nous sommes tous victimes dans cette histoire, de ce que l’on nomme tristement « l’arrogance à la Française ». Deux parties s’affrontent en utilisant cet esprit que l’on nous reproche à l’étranger.

Cette guerre fratricide entre un guide qui n’existerait point sans chefs, et un chef qui n’existerait pas sans guide, ne nous dessert-t-elle pas pour notre rayonnement de la gastronomie française à l’étranger ?

 

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