A travers mes périples culinaires, je suis de temps en temps interrogé sur les pistes à suivre pour progresser dans les guides.
Dire ce qu’il faut faire ne serait pas de bon conseil, car cela lisserait une identité nationale, un goût, alors qu’un territoire d’expression doit être propre à chacun, pour justement générer l’inattendu et l’unique.
Dire ce qu’il ne faut PAS faire, est peut-être plus simple, car en réalité c’est une réflexion qui part du principe qu’en enlevant l’inutile, nous approchons la quintessence du message de l’assiette.
Ainsi, nous sublimons l’expérience client, et quand celle-ci est à son apogée, les guides n’ont plus qu’à faire leur travail.
Sur les 5 dernières années, j’ai remarqué que les tables qui n’étaient pas encore au cœur de leur identité, étaient celles qui subtilisaient l’essentiel par l’excès.
Sans le vouloir, la création devenait ainsi artificielle alors qu’à l’origine tout était porté par d’excellents produits.
Le produit ne fait donc pas tout, il est certes un point d’ancrage, mais il est devenu tellement central que la valeur même du cuisinier qui consiste à en assurer sa meilleure transformation, est maintenant passée en second plan.
Cependant, je me suis aperçu que ce n’est pas simple d’expliquer à un chef ou une équipe que l’assiette, sûrement par excès de générosité, devenait sophistiquée, et qu’elle n’était pas au rendez-vous.
En réalité, revenir sur l’origine d’une création, c’est toucher à l’intime.
Et c’est pour cela que ce secteur est aussi passionnant, car un chef, c’est l’artisan qui sait révéler son for intérieur en le communiquant par le goût afin de procurer du plaisir.
Manger est un acte tellement ordinaire de la vie, qu’on oublie qu’en plus de l’aspect nutritionnel, il est chargé de sens. Les tables qui progressent sont celles qui arrivent à transmettre et communiquer aux autres, le sens de l’origine de la création.
Picasso s’amusait à la fin d’un repas à dessiner sur la nappe en papier pour la donner au restaurateur, certains lui demandaient de signer le dessin, il répondait qu’il voulait juste payer le repas, pas acheter le restaurant.
La création, c’est déterminer sa signature.
Pour trouver sa signature, il faut envisager de faire une recherche intérieure sur tous les éléments qui provoquent de la frustration pour les accepter afin de les anéantir.
Elle a souvent pris naissance à travers une expérience mal vécue, un échec, et parce qu’ils deviennent des marqueurs qui rejaillissent lors de la création, ils ne permettent pas de prendre le bon chemin et ainsi ne déterminent plus la limite entre l’essentiel et l’important.
C’est à cet instant que l’on utilise la sophistication : on dénature, on frelate une substance, on altère un produit, on lui donne un caractère artificiel inutilement compliqué, car nous n’avons pas encore, au cœur du processus de création, déterminé sa propre voie de la quête d’excellence.
La quête d’excellence, c’est la voie qui permet de déterminer sa signature de marque, le moment où l’histoire, l’identité, la vision deviennent le moteur d’un engagement.
Combattre son ennemi, ce n’est pas de trouver en l’autre le conseil de ce qu’il faut faire pour tenter d’aller vite, mais c’est déterminer ce qu’il ne faut plus faire pour entrer dans une envie d’apprendre au quotidien pour aller plus loin : c’est ainsi que l’on révèle une signature de marque singulière et intemporelle.