Renouveau des concepts et de l’offre, Internet et les réseaux sociaux, les guides reconnus leader d’opinion mais plus marqueur d’influence, recherche de la taille critique pour les établissements, touche pas à mon producteur, tentative par des journalistes d’opposer les chefs pour créer des « mouvements de pensée » avec soi-disant la caution du nouveau consommateur Foodies, nouveau manifeste ou multiplication des labels, la restauration gastronomique, bistronomique et traditionnelle a vécu de nombreux évènements en 2014 et va devoir relever des nouveaux défis en 2015 pour trouver de nouveaux relais de croissance….
En prologue de ce billet rétrospective : un clin d’œil, comme certains le savent, Séverine et moi vivons dans le Jura, il est donc plus simple pour nous de bavarder avec Jean Paul Jeunet que Daniel Boulud et au détour d’une conversation JPJ me confia une anecdote de sa rencontre avec Paul Bocuse datant de quelques mois. Monsieur Paul a connu JPJ en culotte courte et ce dernier, le remercia d’avoir justement fait sortir les chefs de leur fourneau pour les faire connaître… à cette remarque dixit JPJ : Monsieur Paul eut un temps de réflexion, un soupir, son fameux sourire et répondit « merci.. mais en y réfléchissant, il serait peut-être temps qu’il y retourne. »
En qualité d’observateur passionné de ce secteur, même si le trait d’humour est avant tout l’idée centrale de la réponse, tout me conduit à penser que 2014 est une année placée sous le feu des projecteurs et que 2015 va être de nouveau dans la révélation de la profession auprès du grand public..
En 2014,
1 – vous avez peut être remarqué que la révélation a été plus sucrée que salée…
La montée de la notoriété du chef pâtissier aux côtés du chef des cuisines est incontestable, dans certaines maisons la place de Monsieur ou Madame Sucre est surexposée…l’origine de ce phénomène a peut-être pris naissance en 2000 à Valence ou Philippe Rigollot (aujourd’hui installé à Annecy) a bousculé avec brio la fin de repas dans les grandes maisons. Pendant longtemps, nous parlions de desserts de cuisinier et nous mesurions juste la hauteur du soufflé et nous sommes passés à la quintessence de cette profession où l’assiette vue par des Benoît Charvet, Claire Heitzler, Julien Dugourd..etc..prend une ampleur exceptionnelle. Côté Grand Public, les émissions de télé sucrées continuent à faire des records d’audience. Plus qu’un phénomène, la pâtisserie est ancrée dans le paysage des maisons et des médias.
2 – Vous avez peut-être remarqué que la notoriété des chefs a supplanté celle des blogueurs…
Les blogueurs et leur communauté foodies ! c’est comme « cela qu’ils disent dans les émissions de Canal+ ».. J’observe que les blogueurs se font dépasser par la notoriété des chefs qui se mettent à Twitter et à Facebook… et le fameux « Rémi, j’y comprends rien à ce truc » de 2013, s’est effacé pour des nouvelles questions en 2014 « comment fait-on pour y être ? »
Un foodies c’est quoi ? Généralement c’est une jeune femme filiforme citadine entre 30 et 40 ans qui pleure lorsqu’elle mange une tarte citron, une aubergine brulée ou elle s’émoustille devant le poireau d’Alain Passard (ne pas relire cette phase avec un esprit second degré)…L’origine, peut-être que les mamans issues des années 70 avaient autre chose à faire que de transmettre les gestes en cuisine. Alors inévitablement, l’Homme généralement barbu, tatoué, et en tenue qui vous fait une soupe avec des légumes issues de la terre (oh tu es sûr cela vient de la terre ?)…C’est l’émotion.
Alors les Foodies telle une connexion à Meetic, se connecte à l’original : le chef et plus le vecteur de communication : le blogueur. A coup de Smartphone, le chef se prête au jeu, publie souvent intelligemment des photos et des commentaires, sa communauté augmente : il devient média. Monsieur Paul, mon sentiment c’est que tout en étant au fourneau : un chef aujourd’hui, est un média à lui tout seul.
Bien entendu, ses prises de parole n’apportent pas la reconnaissance puisque c’est lui qui émet, alors que lorsque qu’un journaliste l’interroge pour recueillir son opinion : sa parole devient « plus » crédible aux yeux du grand public car elle sous forme d’interview.
Pourquoi les chefs doivent renforcer leur communication sur les réseaux sociaux ? Du point de vue business, demain les marques qui vont identifier des chefs pour des contrats de consulting, ne le feront plus seulement sur des enquêtes d’opinion mais aussi sur l’influence qu’ils ont, car devenus émetteurs, certains chefs auront de l’impact auprès de communautés qualifiées. Une marque demain, souhaitera capter des leaders d’opinion pour que l’influence aille jusqu’au grand public qualifié et elle n’investira plus massivement dans les médias grand public mélangés. La marque de demain cherchera notoriété et vecteur de réputation par de tierces personnes.
3 – Vous avez peut être remarqué que réputation a été pointée du doigt.
Comme une grande majorité de guides de voyages et gastronomiques ont raté leur virage numérique, de nouvelles marques raisonnent dans l’esprit du grand public avant tout consommateur et en premier la marque : Tripadvisor.
En 2014, le ciel s’est éclairci dans l’esprit des chefs ; d’un côté il y a la notoriété (le socialmedia et la presse) d’un autre la réputation : les avis clients….
Pour choisir une table, un consommateur a plus que changé, il ne se renseigne plus uniquement au pied des cathédrales des guides gastronomiques ou au chevet des 2 ou 3 rescapés du journalisme gastronomique…qui ont gardé plus qu’une influence auprès d’un public de passionné connecté à leur blog..
Il y a eu de remarquables initiatives comme celle de Pascal Anne Favre, ou 2009 personnes ont signé une idée simple : Non aux avis insultants envers les restaurateurs. Puis Tripadvisor a racheté la Fourchette, un logiciel de réservation bien installé dans les maisons, puis les chefs ont commencé à se poser la question si les coordonnées de leurs clients qu’ils renseignent dans ce type de logiciel est bien leur propriété car au final, un bigdata très qualifié ne viendrait-il pas de ce type de sourcing… dans tous les cas, si j’étais le patron du marketing de chez Mercedes et qu’une société spécialisée dans le bigdata pouvait me fournir les mails de tous les clients ayant déjeuner ou diner dans un restaurant étoilé…je dirais pas tout de suite non…
4 – Vous avez peut être remarqué que label, manifeste, reconnaissance, certification ont été à profusion
C’est bien simple, la dernière fois que je suis allé manger dans un restaurant qui avait mis autour de la porte d’entrée tous les labels, logos, certification, reconnaissance : il y en avait tellement que je n’ai pas trouvé la porte.
Toute initiative est toujours juste, crée de l’innovation et permet de fédérer.. et l’alliance est une force dans notre société chaotique organisée en clan..
Je ne peux que saluer toute initiative et je crois que le statut d’un chef est aussi à considérer comme « ambassadeur. »
Je ne sais pas si après le soldat Ryan, il faut sauver le producteur à coup de label.
Je crois qu’il faut juste lui prouver de la fidélité car lui, le producteur passe 12 mois de sa vie à embellir la terre pour apporter le meilleur et ce qu’il demande, c’est un rendez-vous annuel, lors de la récolte, pour lui permettre d’être de nouveau à un second rendez-vous l’année prochaine : choisissez celui que vous voulez : soyez juste à l’heure au rendez-vous et vous permettrez à nos producteurs français de vivre de leur passion et d’offrir à vos clients le meilleur des circuits courts : oui, Chef de cuisine, vous êtes des ambassadeurs !
5 – Vous avez peut être remarqué le renouveau de l’offre :
Menu unique, moins de produits, des vins natures, des serveurs en basquets, des casquettes à la place des toques, des performances et plus des réceptions, plus de nappes, plus de mises en place, des produits sur le bord de l’assiette… n’en jetez plus… La dernière fois, en sachant que nous allions découvrir une nouvelle table branchée Séverine et moi avions pris la précaution de venir avec nos couverts…au cas où..
Se forger une identité est peut-être la mission d’une maison la plus ardue car il faut à la fois mettre en avant sa relation forte à son territoire tout en étant ouvert sur le monde ou la cuisine a éclaté dans de nombreux pays, ce qui provoque un déracinement des codes et c’est une très bonne nouvelle…
A titre personnel, si j’avais un opposant, il aurait pour nom « escoffier », sans le vouloir avec un seul passage éclair au Ritz, il a codifié un métier au mépris de la liberté de créativité. Nous le voyons dans les mouvements aujourd’hui de contestation comme le FOUDING (je l’écris de cette manière car la dernière fois, j’ai reçu un mail pour m’expliquer que je ne pouvais pas le mettre dans mes billets car c’est une marque protégée)…Ces mouvements souhaitent opposer les chefs entre eux, d’un côté les chefs à la « papa » et puis d’un autre côté les fils spirituels des chefs à la Papa qui se dirigent vers des mouvements décontractés…
On ne construit pas un mouvement sur l’opposition.
Pour aider les chefs à forger l’identité pour une maison, c’est les mettre sur le chemin de la réflexion pour trouver leur propre singularité liée pourquoi pas à leur territoire et leur histoire.
Par exemple, je pressens la renaissance de la cuisine bourgeoise qui en province va de nouveau s’imposer car dans des périodes de crises, le consommateur a besoin de rassurance, cette cuisine sera surement plus mises en valeur dans des lieux comme les brasseries.. mais ce n’est pas parce que cette cuisine peut de nouveau pointer le bout de son nez qu’elle ne sera pas bonne et opposable à d’autres..
Les chefs vont entamer des programmes d’innovation presque de recherche & développement comme le font les autres entrepreneurs des autres secteurs pour justement créer des alternatives, offrir de nouvelles visions…c’est tout l’espoir que je porte sur 2015..de surtout ne pas se dire que « sa » cuisine doit être gastronomique, bistronomique, bourgeoise, de terroir.. en réalité, elle doit être tout cela ! Bâtie sur une idée simple : le consommateur veut vivre une expérience unique pour se procurer des émotions pour enfin les partager avec ses proches… La cuisine de demain sera identitaire pas lié à des mouvements. Sa pluralité sera sa force.
6 – Vous avez peut être remarqué : plein d’autres trucs…
- Joël Robuchon a remis le col Bleu Blanc Rouge : cela me fait penser à la pub : « c’est qui le patron ? »
- Thierry Marx porte un message sur la réussite, je suis pour ma part attentif à ses prises de parole.
- Yannick Alleno relance le bar du restaurant, souvent précurseur…à suivre : l’idée qu’il n’y a pas que le temps du repas dans un restaurant
- Guy Savoy ne fermera pas son restaurant rue Troyon…est ce qu’un chef peut avoir 2 établissements 3 étoiles dans une même ville ? Ou bien serons-nous les témoins de la plus belle des transmissions vers Clément Leroy d’une adresse ?
- Mercato : l’enjeu du Guide Michelin de Février 2015 : quel message à donner au lecteur ? Et pour ceux qui me demandent souvent à qui appartiennent les étoiles ; pour ma part : pas au chef, pas au guide fondateur, mais au public : en un mot ne le décevez pas…le public
- Alain Ducasse et Anne-Sophie Pic sont classés dans les guides des personnes les plus influentes. La profession bénéficie d’une parité, j’espère que dans les années à venir nous encore plus de femmes en cuisine.
- Paul Bocuse n’est pas un mythe : c’est une légende.
- Marc Haeberlin a passé le flambeau à David Sinapian, nouveau président des Grandes Tables du Monde… la tradition : ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi.
- Troisgros a annoncé déplacer « la maison », c’est l’une des rares maisons que je n’ai pas encore eu le plaisir de faire : rendez-vous pris..
- En 2011 dans les enquêtes d’opinion les chefs les plus connus sont : Paul Bocuse 46 %, Joël Robuchon 21 % et Cyril Lignac 18 %..et en 2015 ? à votre avis ?
Pour le reste, je vous le réserve dans des billets sur tribu(ne) ohayon 2015…
Nous tenions à vous dire qu’aux côtés des chefs et des hôteliers, nous avons encore passé une année formidable, que notre avenir croisé avec vos destins est une chance pour nous et que nous vous en serons toujours reconnaissants.
Séverine, Vitalie & Rémi.