On imagine souvent l’expression « lame de fond » comme un évènement puissant et relativement imprévisible… C’est l’histoire de cette maison au bord du lac d’Annecy, qui grâce à ses générations successives, a simplement remplacé le phénomène de « lame » par « l’âme » pour réussir à éblouir ses contemporains.
Du temps de Marc Veyrat, je ne m’étais rendu qu’une seule fois dans cette bâtisse : nous étions une table de 10 couverts, je ne saurai plus situer la date. J’ai le souvenir d’un jaune d’œuf posé au milieu d’un plat où le maître d’hôtel venait plonger une seringue pour y glisser un bouillon de poule, d’une bouteille de coca détournée, d’un veau extraordinaire avec des bonbons de café et d’un dessert de 3 petits pots de flans… C’était l’un de mes premiers repas avec peu de sauce, peu de rôtisserie. A une des autres tables, il y avait une fumée blanche autour d’un plat pour créer la surprise… Le plateau de fromage était déjà extraordinaire, le lieu magique, le personnage était déjà légendaire.
J’ai rencontré Monsieur Veyrat, 10-12 ans plus tard en 2013, nous avons échangé pendant une heure. Il m’a expliqué le projet de la maison des bois, qui est maintenant ouverte. J’en conclu que la Maison Bleue du bord du lac n’était alors qu’un passage, qu’une sorte de tremplin, l’itinéraire d’un enfant gâté par les guides… Il laisse encore une empreinte en bas avec des portraits au mur un peu partout pour sûrement se rassurer des moments passés importants.
Je reste persuadé que son essentiel est ailleurs, il faut de nouveau se libérer l’esprit, n’avoir plus que la montagne à regarder et plus le lac. Pour que les paroles des anciens vous arrivent par le bruissement du vent, il doit s’assurer qu’elles vous seront transmises. Ce nouveau projet doit être labélisé « prendre soin de l’autre »… par sa culture de l’éducation sur l’origine produit, de la transformation de celui et des hommes étonnants comme Jean Philippe qui participe à cette aventure.
La Maison Bleue appartient au lac, c’est-à-dire à l’éternité : il a compris qu’il fallait petit à petit qu’il désincarne le lieu pour qu’à la fois la maison des bois s’ancre dans ses propres valeurs et que les nouveaux pur-sang qui y officient embrassent leur propre destinée. La Maison Bleue revient à ses origines : l’instinct, la fougue mais elle est toujours à la recherche de l’essentiel : l’émotion par l’excellence.
Apprécier une cuisine, c’est comprendre qu’elle se bâtit sur des règles très structurées : vous pouvez utiliser siphon ou simple fouet, mais dans les deux cas, le geste est précis puis répété pour arriver à la quintessence d’une saveur ou la subtilité d’une texture. Le client cherche une expérience, des souvenirs, un moment de partage avec ses invités. Le lien entre les convives devient plus fort car l’émotion d’une assiette interpelle, parfois renverse la personne pour sublimer l’instant.
Imaginez que nous inventions un guide gastronomique à l’émotion : « 3 cœurs pour celui-ci », « 2 larmes de joie pour l’autre » « 1 large sourire pour lui », nous les attribuerions aux plats et plus à la maison.
Dans ces conditions c’est une lame de fond que nous aurions… Elle provoquerait sur chaque rive une déferlante qui casserait les codes de la reconnaissance, chaque cuisinier serait fier de ce qu’il fait, un joli bistrot pourrait atteindre le Graal des 3 cœurs pour un magnifique agneau de 7 heures ou un pâté en croute… La gastronomie en se démocratisant serait alors accessible au plus grand nombre.
Lors de mon dernier dîner chez Yoann, j’ai eu le plaisir de découvrir 9 plats, 3 fromages, 4 desserts, 9 vins.
4 plats à « 3 cœurs » | 3 plats à « 2 larmes de joies » | 2 « plats à large sourire ».
Quand je vous dis que c’est une « l’âme de fond »…
Restaurant Yoann Conte
13 Vieille Route des Pensières
74290 Veyrier du Lac
Tel. : +33 (0)4 50 09 97 49
www.yoann-conte.com