En 1996, j’ai eu la chance de développer pour la famille Rostang, leur tout premier projet de communication digitale pour leurs différentes enseignes, un bistrot portant le nom de « bistrot d’à côté » d’une vingtaine de places adjacent à leur restaurant gastronomique distingué de 2 étoiles.
A Lyon, Jean Paul Lacombe avait déjà repris la maison du Papa et avait comme seconde adresse après le service, une toute petite adresse rue Mercière, la rue coquine du Lyon de l’époque, et c’est dans ce mini bistrot, aujourd’hui devenu une institution, qu’on se rejoignait après le service. Le saucisson et le beaujolais coulaient à flot, et ces « seconds lieux » étaient à l’époque, le rendez-vous incontournable où l’on s’encanaillait jusqu’au petit matin.
Les restaurants gastronomiques étaient des lieux vivants, où chaque service offrait entre 50 et 100 couverts, et une sorte d’esprit Castel planait sur toutes les tables de France. Le consommateur avait confiance en son avenir, le chef était plus artisan est moins vedette, les scandales alimentaires existaient peu, le vin était bon même si les vignerons commençaient à faire pisser la vigne.
Le restaurant gastronomique était certes réservé à une élite de par son positionnement tarifaire, mais il y avait une large frange de « clientèle qui cassait la tirelire » pour venir vivre l’expérience comme le disait souvent Monsieur Loiseau.
Les crises successives nous ont conduits à ne plus avoir grand-chose à casser, la restauration a dû évoluer, le Guide Michelin a créé la distinction du « Bib », le Gault & Millau lance les « Pop », et les chefs diversifient de façon exponentielle leurs activités pour être au plus proche des nouvelles attentes des clients.
On a dit « moins de cravates ! » Depuis, certains arrivent même en short dans les plus grandes tables… « moins de contraintes », et aussi « des horaires plus souples ! ».
En réalité pendant 20 ans, les chefs ont peut-être mis trop de sanctions aux clients, des adresses parisiennes imposent toujours au client le port d’une veste, d’autres interdisent les photos, les cartes à choix ont disparu, les clients ne veulent plus manger au restaurant et demandent même à se faire livrer chez eux, y compris les plats signés par les grandes tables…
Au final les 10 dernières années de la gastronomie n’ont-t-elles pas été régies sous le signe de la dictature, l’ayant conduit à avoir s’enfermer dans une offre « cul serré » ?
Des adresses avec peu de tables, peu de choix dans le menu, des espaces énormes entre les tables, conduisant à isoler chaque convive, moins de dates d’ouverture, des assiettes avec deux petits pois, des restaurants qui refusent des tables de 6 couverts ; une sorte de business de l’exclusivité au cœur d’une société qui a des besoins de partage, de rencontre, de débat, il suffit de regarder les phénomènes dans d’autres secteurs comme bla-bla-car, alors que tout le monde pense communauté, la gastronomie réduit son axe de générosité.
Alors oui, les émissions de télévision et les shows médiatiques sauvent la face, mais pour combien de temps ? La gastronomie a du succès, les chefs sont des vedettes, mais en réalité pour faire 100 % de clients, ils réduisent encore le nombre de tables pendant que d’autres créent des restaurants de 4500 m2 , car lui le client, il est en train de se barrer. Et je ne suis pas sûr que c’est avec de la barbe, des tatouages et des comptes instagram sur-vitaminés que nous allons renouveler le genre.
En revanche, je crois qu’en qualité de consommateur, il faut que l’on arrête de me faire culpabiliser : Oui, je réserve des tables où ma fille de 6 ans est avec nous, nous avons même été pris en flagrant délit de rire aux éclats, un jour sous le regard effrayé d’un maître d’hôtel !
J’ai déjà commandé un poisson à la place d’une entrée nécessitant plus de temps de préparation, mais j’en avais envie, tout simplement.
Un autre jour j’ai même indiqué que j’avais que 45 minutes pour déjeuner, une autre fois, je n’ai bu que de l’eau (mais là ma famille s’est quand même inquiétée), et enfin, dans un excès de folie, j’ai refusé un accord mets et vins car je pense qu’il faut parfois prendre la liberté de choisir son flacon avant son repas… un dingo, je vous dis !
Développer des nouveaux restaurants décontractés a du sens, cependant ils ne peuvent voir le jour car la restauration gastronomique a le cul serré !
En réalité, celle-ci doit réfléchir à la nouvelle liberté que souhaitent les clients, car les effets de levier sont sur ces nouveaux thèmes de réflexion. Je ne vais ni au musée, ni dans un sanctuaire ! Le restaurant est un lieu vivant, contemporain, au cœur d’un biotope, qui favorise la rencontre et le partage.