C’est en lisant les commentaires de la presse professionnelle et grand public, que je me suis dit qu’il serait temps que nous arrêtions de tomber dans le piège.
Il est vrai que les histoires qui dénoncent et expliquent que rien ne va, qu’un empire ou un concept « s’effondre » sont plus lues et commentées et finalement, un média est là pour vendre de la publicité pour vivre, il doit donc avoir de l’audience.
Aujourd’hui, plus les articles sont clivants, plus les lecteurs réagissent et commentent et à la lecture des nombreuses réactions laissées par les internautes que j’ai lues ici et là, j’ai eu la sensation qu’au final, certaines prises de parole étaient du niveau des graffitis dans les chiottes, avec l’avantage que je n’avais pas l’odeur.
L’actualité commentée étant qu’Alain Ducasse quitte le Plaza après 21 ans de services et que le groupe avec qui il est en partenariat lui réédite sa confiance dans d’autres enseignes.
Pour bien contextualiser, je n’ai salué qu’une seule fois dans ma vie Alain Ducasse. Déambulant un jour aux côtés de Jean-François Mesplède dans un salon professionnel, les deux hommes se sont reconnus, je me suis présenté par politesse, Monsieur Ducasse m’a répondu qu’il savait qui j’étais, je n’ai jamais su si c’était un effet de manche ou une réalité en tout cas, on ne pourra pas dire à la fin de ce billet que j’aurais une fibre privée qui explique ma position. Enfin, je ne suis jamais retourné au Plaza Athénée et vous allez comprendre pourquoi.
Le piège, c’est laisser entendre par les anti-tout, qu’Alain Ducasse serait arrivé au bout d’une stratégie. En réalité, ce n’est pas le concept de la gastronomie abandonnée qu’il faut observer, mais le concept à proprement dit des Palaces où la griffe mal gérée depuis des années par Atout France a attribué une surabondance de distinctions. Cela a rendu une grande majorité d’établissements banaux. Un Palace en France, c’est la promesse d’un voyage en Rolls-Royce qui se transforme en Mercedes confortable conduite par un chauffeur Uber.
Je comprends les stratèges du tourisme d’avoir encadré par la loi (notre spécialité française) depuis 2014 pour tenter de faire briller la destination France, mais cela a provoqué une chaîne d’alignement des expériences et celles-ci ne se créent plus par la connaissance des clients, mais par l’idée d’offrir aussi ce que propose son concurrent à son client, et quand en permanence on observe l’autre, on ne fait que copier et l’innovation n’est plus au rendez-vous.
Alors que le luxe de la manufacture brille de mille feux en France dans le monde, le luxe expérientiel décline. Et quelque part se lancer dans le chocolat, le café, la glace, c’est aller sur les marchés porteurs de la manufacture où demain quand on ouvrira un boutique Hermès ou Vuitton dans le monde, il y aura surement à côté une des enseignes du Groupe Ducasse.
Mais restons sur le sujet des palaces. Économiquement, même si je ne me fais aucun souci pour ces propriétaires, nous sommes maintenant sur un marché industriel ultra-concurrentiel, d’abord entre grandes capitales et maintenant sur la destination en France. (31 en France).
Mon travail m’amène à fréquenter ce type d’établissements (oui, je sais #vdm). Il y a 10 ans, j’avais pris pour habitude de commencer l’expérience par les bars des Palaces, je trouvais qu’il y avait toujours une atmosphère incroyable.
Dormant dans un des établissements, nous décidions avec mon épouse de découvrir un soir après le dîner, le bar du Plaza Athénée. Le concierge de notre hôtel avait pris le soin de faire une réservation et à l’arrivée, un videur devant la porte nous a expliqué que nous ne pouvions pas entrer, avec pédagogie nous avons indiqué que nous venions de la part d’un établissement confrère et que nous étions désolés de ne peut-être pas avoir pris nous-même la précaution de faire notre propre réservation.
Finalement, au bout de 15 minutes, une personne de l’intérieur du bar décida de nous faire entrer car nous faisions le pied de grue. Texto il nous précisa avant même de nous avoir installés que la prochaine fois, si nous voulions boire un verre dans ce bar, il était préférable de prendre une chambre chez eux que d’aller dormir à la concurrence : une sorte de technique commerciale trouvant sa frontière entre la menace et la prise d’otage.
En entrant, il y avait un peu prêt 4 à 5 tables de disponibles, c’était l’époque des cocktails waouh effect, c’est-à-dire tout dans les mirettes. Sur la base de cette expérience, nous n’avons jamais remis les pieds dans un point de vente de cet hôtel, je n’ai donc jamais mangé chez Ducasse à Paris.
Au-delà de l’anecdote, je crois qu’innover demain en restauration, dans un Palace, ce ne sera pas de nommer des chefs résidents comme des DJ dans des boîtes de nuit, mais de remettre au centre du processus des services de la conciergerie combinés aux attitudes des équipes de salles.
Avoir de l’audace, ce n’est pas de nommer un autre chef, c’est de positionner une direction exécutive de la restauration tenue par des Maîtres d’hôtel qui eux ont la connaissance de la personnalisation des services aux clients.
Par exemple, ce n’est plus imposer des menus, mais savoir cuisiner ce que demande le client. D’autant plus, que plus ils ont de l’argent, plus ils souhaitent des choses simples de grande tradition française. La Haute-Couture c’est du sur-mesure, et la gastronomie de palace est parfois trop en prêt-à-porter inspirée par le post Instagram vu chez le voisin.
Innover, c’est adopter une posture de leader de référence qui demain ne sera plus dépendant des marques cautions comme Michelin ou Palace, c’est avoir l’ambition d’être une marque à dimension d’expérience unique.
Et, c’est pour cela que je retournerai un jour au Plaza Athénée, car ils font le vide des années où tout devait briller et être inaccessible, cet héritage des années 90 où nous devions tous réussir notre carrière sans vraiment savoir pourquoi.
J’imagine alors que l’idée même de la déconnexion de ce symbole d’un 3 étoiles, c’est marquer une rupture pour établir un nouveau positionnement de restauration libéré des codes pour orienter une nouvelle expérience ayant du sens et des engagements.
Quant à Alain Ducasse, le chapitre sur la « cuisine de palace » qui sera peut-être inscrit dans les manuels scolaires dans une centaine d’années sera : « Deux personnages ont marqué la cuisine des Palaces : Auguste Escoffier et Alain Ducasse, le premier a structuré la restauration en cuisine et en salle avec un penchant pour l’organisation militaire. Le second, après que les palaces aient servi pendant 50 ans une cuisine ampoulée, a fait naître à partir des années 1990 des expériences uniques dans ces lieux. Concept qu’il a exporté dans le monde entier pour faire rayonner l’art de vivre à la Française. Considéré comme une icône, Alain Ducasse entra par ce biais dans la légende de la gastronomie dans le monde. »