Lors de la conférence de Presse de l’édition 2016 du Guide Michelin, Alain Ducasse a déclaré : « Il me plaît à dire qu’on peut vivre sans les étoiles Michelin mais on vit beaucoup mieux »….dernièrement une maison de champagne a contacté tous les établissements ayant perdu une distinction, pour leur expliquer qu’ils étaient présents lors du succès et présents lors des moments plus compliqués et qu’à ce titre, ils voulaient aussi offrir une bouteille. Et puis, vous avez la sensibilité des amis proches des chefs qui pensent à passer un coup fil…simple comme tout et tellement fort en message. Alors dans ce monde où tout a changé, où les consommateurs regardent davantage les sites d’avis de consommateurs que les guides gastronomiques, suivent davantage les tendances sur les réseaux sociaux que les recommandations des journalistes, est-ce vraiment nécessaire de repartir à la conquête ?
Lorsque vous échangez avec un grand sportif, il vous explique qu’être champion olympique c’est une performance, mais être champion du monde, c’est l’ultime reconnaissance car chaque année, vous remettez votre titre en jeu. Les guides gastronomiques appliquent cette règle. Ce qui est moins bien compris, c’est qu’ils travaillent pour leurs lecteurs et pas pour le chef. Ils respectent donc des méthodes pour être au plus proche de la réalité et en conseil pour leurs lecteurs. D’abord, ce qui est méconnu, c’est la règle du nombre de visite : le guide Michelin peut par exemple, vous dire qu’ils ont fait 4 contrôles dans l’année mais en réalité, ils ne sont venus que deux fois, car une table de deux, c’est deux contrôles en même temps. Ensuite, il y a le système de notation, où l’inspecteur donne une étoile ou pas par plat, et l’addition de tous les plats positionnent une adresse. Ensuite tout s’échange fin aout et se confirme pour les promus à 2 ou 3 étoiles avec de nouvelles visites. Pour 1 étoile, l’avis de l’inspecteur en région suffit.
Ce guide a la particularité de procurer les deux extrémités de la palette des émotions : la joie, lors de l’attribution puis le doute, la tristesse, une touche de rancœur, d’incompréhension, de remise en question lors de la destitution. Il y a toujours plus d’impacts financiers de la perte de 2 à 1 ou de 1 à rien que de 3 à 2, même si cela peut se ressentir, car les maisons ayant eu avec les 3 étoiles une forte notoriété, bénéficient pendant un certain temps d’une égale confiance des clients. Le chef propriétaire étant avant tout un entrepreneur, il faut donc autant gérer la stratégie globale et financière que la stratégie de communication, le tout avec une culture de l’épargne forte car les premiers mois seront difficiles.
Avec le temps et lorsque cette situation arrive, plusieurs services se sont maintenant créés comme les coachs culinaires qui interviennent chaque mois dans les établissements, ou encore ce qui est moins connu, un protocole développé par une équipe d’experts du guide….Gault & Millau où leur positionnement n’est pas de faire regagner des étoiles, mais d’accompagner les tables dans leur environnement, leur carte et l’expérience qu’ils offrent aux clients.
Dans les deux cas, je trouve la démarche intéressante car elle permet pendant un certain temps d’échanger avec des personnes qui font d’autres tables et qui apportent des éclairages, le danger étant inévitablement l’uniformisation des goûts liés à un même palais.
Dernièrement, je suis allé déjeuner chez Lameloise et pour mémoire, en 2005 c’est la perte de la troisième étoile, et juste avant qu’Eric (2008) et Fréderic (2009) arrivent aux commandes de la maison, en 2007, Jacques et Nicole avaient de nouveau les 3 étoiles dans le guide. La maison a donc été transmisse avec le graal et elle offre maintenant une expérience complétement différente et surtout avec une vision contemporaine. En réalité, la haute couture, c’est avoir une collection d’avance, ce n’est pas seulement dans la tradition que s’imagine l’expérience, car une tradition qui ne serait pas en mouvement, figerait une maison. La tradition, ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi, alors oui, être distingué c’est une quête perpétuelle de recherche d’excellence et d’innovation au service du client.
Dans le cadre de mes activités professionnelles, lorsque nous accompagnons une table sur la stratégie globale, et sa communication dans cette phase de relance, ma première précaution est d’expliquer que la maison ne doit pas repartir à la reconquête, mais simplement à la conquête. Après une phase d’écoute attentionnée, je me suis rendu compte que les maisons doivent imaginer un plan d’action compréhensible par tous ses collaborateurs : Déblayer | Réveiller | Sublimer. Chaque phase prend alors son sens car en réalité, ce n’est jamais le talent du chef qui est touché par la sanction, mais l’ensemble de la maison qui a moins perçu qu’il fallait travailler avec une collection d’avance.
Alors faut-il partir à la conquête ? Ma recommandation est oui, car lorsque j’ai les chefs ou les propriétaires au téléphone qui pleurent de joie dès lors que la distinction perdue est de nouveau confirmée : Je ne retiens que la joie.