Guide Michelin / Cyril Lignac : C’est qui le patron ?

Cette semaine dans un article du journal Le Monde, Cyril Lignac annonce la fermeture de son restaurant historique le Quinzième et en profite pour régler ses comptes avec le célèbre guide. Pression, manque de transparence du Guide, sentiment de ne plus être chez soi et de faire de la cuisine pour les inspecteurs, sont autant de raisons qui ont conduit la star médiatique à couper le cordon. Coup sur coup et maintenant plusieurs fois par an, des chefs plus ou moins médiatiques s’en prennent au classement et plus particulièrement à celui que les chefs vénèrent le plus : le Guide Michelin.

Il aura donc fallu 15 ans pour que Cyril Lignac comprenne qu’il faut travailler pour ses clients et pas pour un guide, cependant durant ces années, la distinction donnée est parfaitement assumée : lorsque vous recherchez son nom dans Google, la phrase descriptive de son site internet est  : CYRIL LIGNAC – Chef étoilé – Site Officiel.

Cela aurait pu être « Cyril Lignac – Présentateur TV – passionné de pâtisserie et de gastronomie » et pourtant, c’est cette distinction en termes de communication que lui et ses équipes ont mis en avant. Ce personnage attachant a le statut de personnage public, c’est ce qui le distingue des autres chefs, il a acquis la même notoriété en très peu de temps que Monsieur Bocuse, ou Robuchon : on ne peut que saluer son travail.

Ainsi, je trouvais intéressant de mener une réflexion non pas sur sa décision, qui est une décision personnelle de chef d’entreprise mais de replacer dans son contexte sa décision pour les autres maisons qui sont distinguées.

1 – Pourquoi existe-t-il ce phénomène avec le Michelin de « je t’aime, moi non plus » ?

Car c’est le Michelin qui change de stratégie et pas les chefs !

Leur décision principale est de donner une distinction par millésime et plus de mettre en avant la longévité ! Ainsi, par exemple interdiction de dire maintenant : 3 étoiles depuis 1965 !

Ainsi d’après le document officiel du Guide Michelin, (je cite)

« Vous ne devez pas utiliser…

  • Restaurant étoilé / Chef étoilé
  • Restaurant ou chef doublement étoilé
  • Le chef a XX étoiles MICHELIN (en additionnant les distinctions de plusieurs restaurants différents)

Mais uniquement dire :

  • Restaurant étoilé MICHELIN (“Chef étoilé MICHELIN pouvant être toléré
  • Restaurant deux étoiles MICHELIN (“Chef deux étoiles MICHELIN est toléré)
  • Chef de XX restaurants étoilés au guide MICHELIN
  • Le guide MICHELIN »

Mais ce qui est plus intéressant d’analyser c’est le principe 2 et 3 : ici, il faut comprendre que l’utilisation de la marque Michelin telle une caution attribuée à un chef peut devenir payante au profit du Guide.

Je cite :

« Une distinction MICHELIN ne peut jamais être dissociée du restaurant et de l’année auxquels elle se réfère car elle reconnait l’engagement d’une équipe, au sein d’un établissement, sur une période donnée.  Dans la mesure où le Chef joue un rôle clef dans l’obtention d’une distinction au guide MICHELIN, il/elle est autorisé(e) à associer son nom à la distinction obtenue en précisant le restaurant et l’année d’obtention. Cette autorisation exclue néanmoins toute activité et utilisation commerciale (voir #3). 

#3 Pour tout usage commercial de la marque MICHELIN, guide, distinction ou identité, un accord préalable pouvant prendre la forme d’un contrat de licence devra être conclu avec Michelin.

Exemples : sponsoring de marque/produits/services, ouvrages, produits dérivés, participation à des évènements… »

En synthèse, vos étoiles vous fabriquent un avantage financier et vous signez un contrat avec une société qui met en avant cette distinction ?  Vous devez prendre un contrat de licence de marque avec Michelin pour avancer avec votre partenaire.

Ainsi, Cyril Lignac ayant naturellement une aura gagnée grâce à son talent, aurait pu dans les années à venir être contraint pour certains contrats de reverser une partie de sa rémunération si la marque avait été caution, même si au fond, je ne pense pas que ce soit la raison principale au regard de son entretien dans le Monde.

2 – Difficulté de personnel ou trop de personnel pour une brigade.

Je ne suis pas sûr que le positionnement de la table gastronomique soit le seul segment concerné des problèmes de recrutement de personnel.

C’est bien « la profession » qui est la seule responsable : le manque de bienveillance, d’abus, d’horaires importants et décalés, le manque de plan de carrière, de sens sur le travail à fournir, ont fabriqué en 15 ans la désertion de ce joli métier où la solution immédiate viendra du changement de management, du recrutement de personnel venant d’autres pays pour ré-étaler un plan sur 10 ans de reconquête sur le territoire national.

3 – Le nombre d’équipe à avoir pour avoir une étoile ?

Je connais un bon nombre d’établissements où ils sont 2 salariés et ont bien 1 étoile Michelin. Le sujet n’est pas là, surtout qu’ils dégagent de la rentabilité.

4 – Pression

Une étoile se gagne, une deuxième se travaille, une troisième se conquière. J’ai la chance d’accompagner plusieurs maisons sur la posture du management à avoir lorsque l’on est sur un segment de la haute performance. L’exigence impose une reconnaissance forte pour fidéliser ses équipes, pour les rendre autonomes et ainsi créer de la valeur en rendant l’expérience unique pour ses clients. Être à un niveau d’excellence, ce n’est pas fabriquer de la pression en stress mais en tracs, la différence entre la peur de faire qui induit la perte de moyen et la peur de mal faire, un état normal pour sublimer un instant client.

Cependant, la déclaration du représentant du Guide Michelin à Cyril Lignac est invraisemblable « Que voulez-vous que je réponde quand il me dit, par exemple : ‘Quinze ans au Quinzième, vous sortez de l’adolescence, vous allez faire un restaurant d’adulte ?’ J’ai 41 ans, et ça fait vingt ans que je fais ce métier ! »

5 – Manque de clients

Je crois que le fond du problème est aussi là, aujourd’hui le guide leader dans le monde pour les clients est Tripadvisor, ainsi depuis 10 ans, Michelin ayant raté son virage numérique, est dans une situation de suiveur où la stratégie est difficile à mettre en œuvre car le groupe demande une autonomie financière à cette branche et à juste titre, les 60 % de citation de la marque par les chefs ne suffisent plus pour remettre au pot.

Et c’est peut-être là que le Comité de Direction de Michelin Travel Partners pourrait employer cette adage « Quand tu ne sais pas où tu vas, n’oublie jamais d’où tu viens. ».

« Au commencement, il y a toujours une intuition » En 1912, Dominique Lamberjack et Louis Forest ont fondé le club des cent, un club relativement secret de la gastronomie française. Il a permis de détecter des adresses pour les frères du guide Michelin. Ce club qui officie toujours pourrait être une idée pour le guide Michelin. Pourquoi ne pas fonder le club des 1 million au niveau international ? une carte d’un montant à définir que j’estime entre 250 euros et 500 euros l’adhésion par an qui permettrait de bénéficier d’avantages dans les établissements du guide.

3 relais de croissances : un big data hyper-qualifié qui pourrait créer de la valeur avec des partenaires, un CA de + 350 millions d’euros (j’ai pris un prix moyen de 350 euros l’adhésion X 1 million) par an qui rendrait l’ebidta différent de la division et surtout un moyen de remplir les maisons grâce à un service de conciergerie adapté à un haut niveau de service.

Cette marque est l’une des rares à avoir le potentiel de créer un tel club car une partie des consommateurs est encore sensible à cette marque. Le tout en parallèle de l’ouverture de nouvelles destinations, en 5 ans Michelin Partners serait l’une des plus profitables du groupe.

Et au lieu de vouloir faire payer le chef, il serait peut-être mieux de chercher à créer de la valeur sur de nouveaux services, le guide papier lui, étant simplement requalifié au rang de guide pour collectionneur.

Ainsi, si vous connaissez quelqu’un chez Michelin, j’entends que c’est génial de fabriquer des pneus qui ne crèvent plus mais dans 100 ans les voitures, elles voleront !

Alors, les consommateurs qui vont au restaurant : qu’attendent-ils ?

 

 

 

 

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