Il n’y a pas un jour où je me connecte sur les réseaux sociaux, sans que je vois une maison mettant en avant une cuisine exclusive de saisonnalité et je m’aperçois que dès qu’un pâtissier ou cuisinier met une fraise ou une cerise dans un plat en plein hiver, il se fait flinguer par les « sachants »…
Je rassure mes lecteurs, j’ai bien demandé au maire de mon village de monter une potence au milieu du village pour que vous puissiez pendre mes 3 points de vue hauts et courts, mais j’ai quand même décidé de les exposer !
Premièrement, cuisiner un produit de saison n’est pas le centre de la quintessence du goût. Le point central, c’est l’identification du producteur qui laisse faire dame nature et qui ne bourre pas ses champs où son élevage d’une quantité de produits venant détruire une grande majorité de substances qui donnent justement de la teneur et de l’identification à un terroir.
Plus les produits sont chargés, plus ils perdent de leur saveur, ainsi tu as beau manger une asperge ou une fraise à la belle saison, en réalité c’est sa méthode de production qui a du sens dans la recherche de la quintessence des saveurs. C’est pour cela que certains chefs caressent simplement le produit et arrivent à sublimer des plats, en réalité tout le travail de fond n’est pas le respect du calendrier mais le sourcing du producteur.
Deuxièmement, j’estime que la cuisine de proximité et de saisonnalité n’est pas obligatoirement aussi la meilleure, c’est un point de vue et un engagement de personnalité que je respecte, et qui font partie d’un processus, d’une philosophie pour délivrer une expérience. Cependant pour pérenniser une entreprise, car oui un restaurant c’est une entreprise, pas un lieu de culte, c’est avant tout répondre aux attentes des clients.
Prenons deux cas précis : lorsque des clients traversent des pays toute l’année pour par exemple, gouter les Macaronis de Monsieur Frechon, devons-nous leur répondre de venir qu’au mois de janvier / févier ? Là où la truffe fraiche est la meilleure ? C’est justement le fait de savoir créer des plats avec des produits qui ont les meilleures garanties de conservation qui apportent la consistance, la cohérence, la qualité, qui elle doit rester la même au fil du temps (on dirait une phrase type d’un guide connu !)
Personnellement, j’habite dans le Jura, je suis condamné à manger du comté et de la saucisse de Morteau au restaurant ? Au contraire, je vais au restaurant car justement trouver le meilleur homard : c’est compliqué !
C’est la raison pour laquelle je me rends chez un professionnel pour qu’il le trouve et me le fasse déguster.
Et cette deuxième phase m’amène à la troisième réflexion qui révèle que le principal problème est que nous ne savons toujours pas conserver : nous avons laissé le soin aux industriels de s’en occuper, ainsi nous sommes désarmés.
Par habitude de laisser penser que cuisiner ce n’est que des circuits courts de livraison, par un manque d’équipement en cuisine de cellule, par une mauvaise connaissance de la qualité organoleptique des bocaux, par un manque d’ouverture de la part des cuisinistes, comme la mise en place de chambres de maturation en cuisine, de timbres à différents niveaux de température, par une idée que le sous-vide ne sert qu’à cuire en basse température et à ne pas conserver, en réalité, nous ne savons pas consommer en hiver, les produits récoltés aux meilleurs moments de la saison d’été, car peu s’intéressent aux différentes solutions de conservation.
Bien entendu, nous ne pouvons pas en faire une généralité et cela ne s’adapte pas à tous les produits, cependant, lorsque j’étais chez Jean Paul Jeunet et que le chef était David Zuddas, l’été nous recevions de superbes tomates cerise et nous préparions nos bocaux pour l’hiver afin d’apporter la touche d’acidité nécessaire aux terrines de Gibier : il y a 20 ans, nous pensions que travailler le produit au meilleur moment était le sens d’une cuisine de quintessence.
L’avenir sera une cuisine de santé, pas seulement une cuisine de saisonnalité, et c’est en équilibrant les saveurs, en harmonisant les assaisonnements, en ayant des cuissons justes, une qualité des produits, une certaine personnalité des chefs et de leurs équipes dans les assiettes, un service en salle de précaution, qui distingueront les tables pratiquant le meilleur rapport qualité prix qui rencontreront de l’intérêt voire du succès auprès des clients.
Quant à la fraicheur des produits, j’ajouterais, leurs modes d’élevage et leurs méthodes innovantes de conservation.
Haut et court !