Auprès des journalistes, les chefs des maisons distinguées emploient souvent cette image, « en cuisine, il y a le prêt-à-porter et la haute couture, nous faisons partie de cette deuxième catégorie. ».
La haute couture, c’est un concept de collection qui se fige chaque année, qui se répète même l’année d’après au sein de la carte du restaurant, car nombreux sont ceux qui cuisinent encore pour les guides et pas pour leurs clients, ainsi ils visent la régularité, la prise de risque limitée pour plaire à une élite.
La période que nous vivons va permettre de créer plus d’innovation en un an à partir de maintenant, que sur les dix dernières années ; nous étions jusqu’alors empêtrés dans des dogmes. Pour envisager, l’avenir il faut d’abord établir le meilleur des diagnostiques.
Au sein de mes activités professionnelles, par exemple, nous avons mené deux études après de 1000 / 1300 consommateurs Français à un mois d’intervalle pour comprendre les nouvelles attentes des consommateurs. Ce qui en ressort c’est une volonté de consommer plus responsable, plus solidaire, plus transparente, sans intermédiaire, en circuit court, et de vivre des expériences singulières. En somme la volonté d’aller vers une économie plus vertueuse tant pour le consommateur que pour le professionnel.
Parce que nous avons pensé que la haute-couture était l’avenir de la gastronomie, nous avons conçu des restaurants avec des capacités plus petites, imposé des règles de restriction aux clients ; pas de photos à table, des menus identiques pour l’ensemble des convives, suppression des cartes de restaurants, des heures d’arrivée des clients obligatoires, un management où les équipes travaillent plus pour gagner moins, le tout en continuant à augmenter chaque année, le tarif auprès des clients.
Une somme de décisions qui a conduit certaines tables à se fragiliser financièrement, nous avons même perdu des emplois dans les territoires. Nous le constatons même depuis la crise sanitaire, certains chefs se posent des questions sur le plaisir de venir au travail et changent de modèle. Souvenons-nous du précurseur Sébastien Bras, qui pensait que la liberté était l’avenir de la vie de ses équipes et de sa maison.
En 1995, chez Monsieur Loiseau, nous avions eu une table de 5 « gaillards » qui avaient passé 3 jours à Saulieu, le dernier jour, ils voulaient manger un cassoulet ! Monsieur avait trouvé cela génial et Patrick Bertron de son côté avait déjà passé les coups de fil pour trouver les meilleurs produits du sud-ouest. Il y a deux ans, je suis resté 2 jours en famille et entre amis à l’hôtel du Castellet, chez Christophe Bacquié, la table était exceptionnelle, mais le plat de légende était la bouillabaisse que nous lui avions demandé quelques jours avant, servie dans son bureau face aux cuisines où pendant le repas, il nous a raconté comment il était à la première criée de 5 heures pour choisir les poissons et pourquoi il est important d’avoir tel ou tel poisson dans ce plat. Pour moi, c’est le plat de légende de Christophe.
En réalité aucun inspecteur ou enquêteur n’est capable d’approcher ce bonheur, car ces offres ne leur sont pas accessibles. Je pense même qu’à l’avenir, ils ne seront capables d’auditer que 50 % de la carte car les consommateurs entrent dans une nouvelle ère : le sur-mesure.
Pour comprendre la différence entre le luxe et le premium, il faut étudier les modèles de fabricants de voiture. Bugatti est une marque de luxe où le client à Molsheim peut composer sa propre auto sur mesure, alors que chez BMW ou Mercedes, vous achetez des packs et des gammes, le premier est donc sur le marché du luxe, le second sur le marché premium industrialisé.
Depuis Escoffier, la gastronomie s’est codifiée et sur les dix dernières années, elle s’est copiée grâce à l’accès aux réseaux sociaux, certes nous n’avons jamais aussi bien mangé car le travail mené par les producteurs, éleveurs, pécheurs est formidable, ils sortent petit à petit de la surproduction et pensent différemment l’avenir de notre planète en offrant le meilleur au chef, ces derniers se sont adaptés.
Mais en réalité, je me pose la question si les consommateurs ne se sont pas « autant emmerdés » au restaurant ces dernières décennies ? Est-ce que les 700 tables d’exceptions entrées dans un moule n’ont pas tout simplement capé leur expérience pour pouvoir être remarquées par les élites et en même temps se sont positionnées à un simple niveau de marché prémium ?
Il est temps que nous pensions le sur-mesure, des lieux où le maître d’hôtel devient un Butler de la gastronomie et réalise des réservations répondant parfaitement aux attentes des clients, et plus des offres imposées par les chefs, saisir leurs contraintes alimentaires, la raison réelle pour laquelle ils se rendent dans les maisons et que l’on se souvienne que peu viennent pour la cuisine du chef mais parce qu’ils ont quelque chose à fêter alors ils cherchent des lieux pour exprimer leur joie.la La table table sublime l’instant.
Le sur-mesure c’est aussi de suggérer le meilleur des produits, au meilleur moment, à la juste distance tout en donnant la meilleure marge au producteur. Le client lui étant prêt à payer le juste prix pour que son moment devienne un souvenir et pas seulement un acte de consommation.
Se réinventer, c’est certes proposer sa cuisine ailleurs comme au domicile du consommateur, mais c’est aussi se dire que l’offre existante a besoin de s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs.
Les professionnels et les consommateurs ont des intérêts qu’ils partagent ensemble, celui de flux respectueux de valeurs où l’environnement et la préservation des savoir-faire et de l’emploi sont au cœur des préoccupations.
C’est une nécessité d’adapter vos maisons à ces nouvelles attentes et proposer des nouvelles expériences comme le sur-mesure. Pour réussir, il faut former des alliances, des solutions existent, Il est temps d’agir et de s’en saisir.
Finalement, cette crise ouvre une nouvelle ère d’échanges et il revient à chacun d’entre nous de s’en saisir pour que cette nouvelle ère soit plus équitable que la précédente.