C’est bien simple, le diktat de l’épuré est tellement présent que je pense qu’il est envisageable qu’un jour, on m’apporte une simple assiette en porcelaine comme nouvelle création du chef, où là, d’un ton assuré le maître d’hôtel déclarera : « Monsieur Ohayon, comme vous avez pris le menu essentiel avec le forfait dentiste, vous pouvez y aller à pleines dents ! »
Je suis à 6 mois de mes péripéties culinaires et hôtelières, je me suis dit que pour le week-end du 15 août, il serait bien de réfléchir à ce que j’entends le plus de la part des consultants, chefs, clients, journalistes en qualité d’observateur… Je ne sais pas vous, mais j’ai la sensation que tout le monde pense que pour être mieux toqué ou étoilé, il suffit d’épurer sa cuisine. De quoi ?!? de mettre des purées ??? mais c’est protégé ! (dixit le service juridique de Joël Robuchon).
Non, d’épurer ! C’est une pensée sectaire qui plane depuis 3-4 ans et qui de mon point de vue, freine la créativité de la gastronomie française.
Epurer, c’est même pervers ! Car à un moment, sans le savoir, on fait le même plat que l’autre. Et c’est à ce moment-là que l’on exprime le moins sa personnalité, son identité et que le territoire d’expression de sa table devient plus lisse.
Au final, si on prend du recul, le seul truc que sait fabriquer Michelin : ce sont des pneus !
Ce département chez eux, est certes industrialisé, mais quelle est la première personne qui a balancé que pour progresser dans sa cuisine et avoir un écho dans le guide, il fallait appliquer la même méthode que pour la fabrication de la gomme ? (A mon avis, c’est un coup de la concurrence qui devait être chaussée en Goodyear)
« Une cuisine lisible » : cela veut dire quoi ? Par exemple, j’ai la chance d’aller parfois à la table de Monsieur Gagnaire : A titre personnel, je n’y comprends rien et j’en redemande. Chez lui, je pense toujours ne pas avoir assez d’éducation culinaire pour comprendre le génie de sa créativité. Vous imaginez un jour une cuisine lisible chez lui ? Quelle tristesse pour ses clients…
En revanche, je pense qu’il est possible dans un plat de donner un seul éclat, une sorte de bleu de chez Klein, unique, évident, incomparable, époustouflant. Mais est-ce qu’il faut décliner cette expérience dans tous les plats qui composent le menu ?
Vous voulez mettre 8 – 10 produits ou 2-3 saveurs : faîtes-le, mais faites-le parce que c’est vous, parce que ce plat n’est plus pour vous une promesse, mais un engagement.
Lorsque l’on touche une cuisine d’auteur, ce n’est pas le dernier qui a parlé qui a toujours raison.
Alors je sais, qu’il est parfois compliqué de mobiliser les équipes pour offrir le meilleur à ses clients, quand les guides récompensent en grande majorité les tables des palaces aux moyens inépuisables.
D’un autre côté, Guy Savoy a eu 3 étoiles avec une salle sans fenêtre, une cuisine au sous-sol et je pense même que la dernière année avant la consécration, il n’y avait plus que la confrérie de l’artichaut qui le soutenait.
Lorsque l’on fait de la compétition, on comprend que le résultat n’est qu’une conséquence, et qu’en réalité le vainqueur à tout misé sur la méthode. Gérer la pression, c’est savoir transformer le stress en trac. Le stress, c’est la peur de faire, c’est néfaste. Le trac, c’est la peur de mal faire, c’est-à-dire un état normal car vous êtes en quête d’excellence.
C’est normal d’avoir des doutes, le doute est une arme pour la créativité, car elle anime l’auteur. Un plat ne se crée pas, il s’élève, et ainsi chaque année on le bonifie pour le faire arriver à un plat de maturité. Vous l’avez complexifié ? Si c’est votre ressenti d’auteur, faites-le !
N’écoutez pas ceux qui pensent savoir, mais qui en réalité, n’ont aucune influence dans les guides. En plus ils sont souvent vos invités, alors ils ne vont pas en plus vous dire que ce n’était pas à leur goût ! Subtilement, ils vont vous déclarer « Formidable ce repas, mais tu devrais épurer ce plat !» – Et c’est là qu’il faut que vous répondiez : « NON. Et je vais t’expliquer pourquoi »…
Si nous réfléchissons bien, combien de produits et de saveurs offre un bœuf bourguignon, un tajine, une paella, un couscous ? Les plats de partage ont de la complexité. La matrice de la gastronomie française était généreuse, puissante, elle savait rôtir, mettre au point des sauces, relever avec élégance les produits. Certes, la nouvelle cuisine a été nécessaire car l’époque d’après-guerre avait de l’excès. Mais cet excès s’explique, la population a été rationnée pendant plusieurs années, ainsi, peut-être que le cuisinier à cette époque avait besoin de rassurer son client.
2017 est une autre époque, elle est trop instinctive, parfois trop rapide, par exemple, je ne comprends pas pourquoi Michelin a mis 2 étoiles à des tables, pour les retirer dans les deux années suivantes. En qualité de lecteur, cela me fait presque perdre confiance.
Cette confiance, elle n’est pas à donner à celui qui vous fabrique l’écho. Ils n’ont qu’à faire leur travail. Cette confiance, il faut la gagner et la communiquer à vos équipes, ainsi, les clients comme moi, pousseront la porte de vos maisons et simplement, nous y reviendrons.