Vous allez me dire que le titre est un tantinet racoleur pour reprendre mes réflexions sur Tribu(ne)Ohayon. Mais laissez-moi ces quelques lignes pour vous expliquer mon raisonnement.
J’ai pour passion d’observer les entrepreneurs de la gastronomie.
Ceux qui agissent pour faire briller notre pays, ceux qui défendent les cultures de nos territoires, ceux qui prennent en compte les enjeux du climat dans leur modèle, ceux qui se mobilisent pour la quête d’excellence, ceux ouverts au management de la considération.
En un mot ceux qui vivent de passion et d’ouverture vers les autres.
Depuis cette idée forte que la distinction est éphémère qui date de 5 à 7 ans, celle qui est décernée maintenant seulement pour une année et où tout le monde peut dégringoler, j’ai maintenant en face de moi une partie des chefs et des cheffes tétanisés, qui doutent en permanence.
A chaque classement annuel, les tables en sont même réduites à remercier le Guide Michelin sur leurs propres réseaux sociaux de les avoir épargnés.
C’est irréel, des hommes et des femmes qui sont responsables de familles entières, qui ont pris des risques personnels, qui font partie de la France qui se lève tôt et en plus se couchent tard, qui sont en pleine maturité de leur art, doivent à leur âge encore remercier pour…leur propre talent et leur valeur travail.
Mais il faut bien comprendre que la marque caution en France qui adoube le positionnement dit « d’établissement de gastronomie » est ce guide. Et quand vous savez que vous êtes une marque dominante, vous pouvez peut-être sans le vouloir ou sans le savoir, changer le succès de toute une économie.
Actuellement, les chef et cheffes propriétaires ou salariés prennent moins de risques, montent maintenant de « petites affaires », ouvrent moins, augmentent en revanche leur prix et se rendent par le fait moins accessibles au plus grand nombre.
D’un côté, nous fabriquons une élite de clients par le prix et d’un autre nous allons vers un effondrement des savoir-faire de l’équipage des établissements.
C’est une évidence, pour grimper dans les classements, si demain, il ne faut faire que 20 à 25 couverts, vous aurez des maisons avec moins d’apprenants, donc moins de transmission et donc moins de nouveaux entrepreneurs demain prêts à faire briller notre gastronomie française.
A cela vient se mêler en plus le phénomène de faire patienter des tables prêtes à la première distinction ou une progression. Unanimement clients, journalistes, experts seraient en mesure de vous établir au moins une liste de 30 tables concernées en France. Tout devient petit, même la sélection.
Avec cette vision d’installer de l’instabilité, nous allons aussi vers un effondrement total de la filière haut de gamme des producteurs et d’éleveurs qui demain ne pourraient plus assurer une production pour des restaurateurs hauts de gamme qui ne serviraient plus assez de clients en grand nombre. Sans rentabilité ? pourquoi continuer à élever et produire pour eux ?
Que le système de notation soit mystérieux alors que nous sommes dans l’ère de la transparence n’est pas le sujet central.
L’enjeux est de redonner de la confiance à celles et ceux qui font mieux chaque jour en leur disant aussi que ce n’est pas grave s’ils font aussi plus.
Car nous les clients, nous ne voulons pas être condamnés dans quelques années à manger dans des restaurants garnis de quelques tables de deux personnes sans vie, sans joie, sans bruit, sans erreur, sans éclat de rire.
La vision d’un seul dominant peut faire basculer une économie vivante en une économie sans espoir.
Il est peut-être temps de vous libérer, de moins représenter les logos des guides dans votre propre plateforme marque.
De vous fixer un cap, de vous interroger sur la finalité et la culture de votre entreprise et de l’ancrer sur un temps long.
De renforcer la pérennité de votre activité en conjuguant impact social et environnemental, de vous embarquer dans un paradigme de la confiance pour partager vos engagements, et de faire vibrer votre identité, quitte à déplaire.
Et demain ? Soyez rassurés, ils ne sauront pas faire et exister sans vous, car finalement leur meilleur fonds de commerce : c’est vous.