Peut-être parce que nous sortons d’une période où nous avions moins de repères, j’ai la sensation que les consommateurs, chefs et médias sont rassurés par les marques ancrées telles que celles des guides gastronomiques historiques comme Gault&Millau ou Guide Michelin en ce moment. Des guides aux répertoires solides qui innovent pour l’avenir de la gastronomie.
J’en suis même à ne plus supporter que certains détracteurs expliquent toujours que « cela marchait mieux avant, il suffit de regarder les ventes des guides qui s’écroulent ! », car cette simple analyse est faussée.
Le guide est devenu un objet de collection, et les consommateurs ont tous un smartphone. Alors effectivement les 600 000 exemplaires de vente de guide des années 90 se sont transformés en 2022 à 500 000 connexions par mois à leur site : en réalité, cela marche 10 fois mieux qu’avant.
Un autre phénomène est à observer, c’est la capacité de la marque des guides à venir se loger dans des émissions grand public telle que Top Chef où l’audience de ce jeudi est montée jusqu’à 3.7 millions de téléspectateurs. Avec en plus des prises de parole de candidats qui expliquent pédagogiquement le sens de la distinction « étoile verte » au grand public : pour le Guide Michelin la magie opère sans même être présent ! Pour Gault & Millau, d’autres candidats citent qu’ils sont « grand de demain ».
Côté réseaux-sociaux : le guide Michelin affiche 2.5 millions d’abonnés sur Instagram, le directeur international du Guide Gwendal Poullennec est suivi par plus de 100K abonnés et est devenu un spécialiste des stories, quant au Gault & Millau, ils ont choisi une stratégie d’abonnement par pays avec des comptes entre 50 et 80 milles abonnés. L’engagement est de plus important et les chefs aux comptes Instagram bodybuildés truffent leurs propres posts de hashtags #michelinstars #michelinguide #gaultmillau. Cela va quand même un peu plus loin que la simple plaque devant un restaurant, non ?
Si la stratégie digitale (applications et site web) n’est peut-être pas encore tout à fait au rendez-vous, c’est incontestable que la stratégie socialmedia est au cœur de leurs marques, là où se trouvent les consommateurs qui vont aux restaurants.
Côté animation de la marque : le Gault & Millau se distingue par des manifestations en région pour faire vivre les territoires et coordonnent des actions entre les producteurs, les chefs, les vignerons et la presse locale relaye largement leurs actions : comme une campagne électorale bien huilée qui part de la base pour finir chaque année sur les grands prix qui ne récompensent pas seulement le chef mais aussi l’ensemble des autres professions comme les pâtissiers, sommeliers, maîtres d’ hôtel…, une mise en avant de ces métiers effectuée aussi par le Guide Michelin depuis 2014 .
Le guide des 109 est l’innovation forte du Guide Gault&Millau qui est une pépite d’informations sur les tables en devenir, au-delà de cette édition, une distinction propre à ce classement pourrait être imaginée. Côté rouge, c’est l’étoile verte du Guide Michelin qui devient l’impulsion pour s’ancrer au cœur de notre époque qui recherche plus en plus de sens et de santé dans l’assiette.
Finalement, en cette reprise d’activité plus sereine après deux années de pandémie, l’avis de l’expert reprend le dessus sur l’avis de la masse, qui lui est centralisé sur quelques sites d’avis de consommateurs comme les avis de Google ou ceux de TripAdvisor.
En hybridant leur marque à des évènements, les guides prennent de plus en plus la lumière. Les chefs affichent fièrement sur leur veste leur appartenance à des guides ou dans leur communication, les consommateurs sont fiers d’annoncer à leur proche qu’ils ont fait telle ou telle table distinguée.
Au-delà de l’explication que j’observe de ce succès actuel, certains pourraient se dire que je n’aborde pas le côté opaque de la sélection et que cela pourrait rester le point noir des guides gastronomiques.
Pour tout vous dire, à chaque fois que j’ai échangé avec un inspecteur ou enquêteur, j’ai compris qu’ils ne cherchaient pas l’erreur mais qu’il souhaitait dénicher l’excellence.
J’ai aussi compris que par « qualité de prestation d’un repas », ils entendent « qualité de l’assiette ». Un point c’est tout.
Il faut comprendre que leur métier ne consiste pas à révéler la qualité objective de la prestation (ce qui me parait impossible) mais au contraire à interpréter cette dernière selon une grille de lecture propre à chaque guide.
Pendant longtemps le guide Michelin a été le seul intermédiaire de la gastronomie, lorsque le Gault & Millau est arrivé, il n’a pas été l’émergence d’une forme alternative de sélection de bonne table par un protocole qui remplacerait celui du Michelin, il a bâti une autre grille qui semblait répondre davantage aux attentes de son époque et qui consacre maintenant 30 % de la note pour le service en salle. Pondération qui n’existe pas dans le Guide Michelin.
Il faut ainsi comprendre que le gage de l’efficacité d’une critique : c’est la pérennité de son protocole. Et c’est très bien que cela reste un savoir-faire confidentiel. L’opacité est donc un élément essentiel au bon fonctionnement du marché de la gastronomie. Car les guides sont des intermédiaires qui ont permis de se faire rencontrer une offre et une demande.
Un guide est par conséquent un outil de légitimation et c’est pour cela que la gastronomie n’est pas dans une situation d’incertitude, car leurs protocoles pérennes créent un marché de l’information sur la qualité d’une prestation et donnent ainsi une dimension internationale et une unité au marché de la gastronomie.