Si la gastronomie excelle, l’audace en est l’étincelle.

1998 : champion du monde et 20 ans plus tard ? Qu’ambitionnez-vous d’être cette année ?

Ce soir de finale de coupe du monde alors que 60 millions de français étaient dans les rues, devant leur télévision, ou au stade, je dînais à la Belle Otero à Cannes, chez Francis Chauveau. A chaque but, un cri de joie émanait de la cuisine, il y avait 3 tables de 2 couverts ce soir-là, le homard était magnifique. J’avais appris que le restaurant devait être remplacé par un Casino, alors une date dite de « finale » me paraissait amusante pour découvrir cette table.

Pourquoi avons-nous gagné en 1998 ? Parce que nous avons marqué des buts ? Oui à la finale, cependant nous avons surtout gagné car nous en avons peu pris, surement la meilleure défense que l’équipe de France ait eu ! Ce repas c’est comme cela que je l’ai compris, une cuisine où l’on ne prenait pas de but, d’un joli classicisme de défense, mais elle n’en marquait pas.

A l’aube de la sortie du Guide Michelin 2018, nous pouvons nous poser cette question : Est-ce que les guides influenceurs qui auront encore de l’impact auprès des consommateurs vont récompenser les plats signatures de maisons qui s’expriment que dans la régularité, ou est-ce que l’idée de la suprématie d’une table viendra de celles qui auront le plus travaillé leur identité, leur signature de marque, leur remise en question.

Un 3 étoiles dans le monde d’aujourd’hui, c’est la Table de Grant Achatz qui joue continuellement en attaque par l’invention de plat (Alinéa de Chicago) ou l’Ambroisie de Paris ? Les deux : sûrement, peut-être…je ne sais pas.

En France, les futures maisons 3 étoiles seront-elles celles qui ont déjà été distinguées par le passé comme l’annoncent déjà certains journalistes (Monsieur Klein ou Monsieur Veyrat), où seront-ils des personnages révélations d’aujourd’hui ?

Distinguer une maison, ce n’est pas envisager qu’elle va devenir meilleure, c’est qu’elle a déjà le niveau. Car le consommateur, lui attend d’être éclairé par des experts.

Sauf que les experts, le consommateur les consulte de temps en temps pour se rassurer ; plus pour dénicher. Car en réalité, l’influence d’aujourd’hui a basculé dans l’avis de la masse et de la transparence, il suffit de regarder la réussite de Tripadvisor.

Notre société en 20 ans a fabriqué autant de sélectionneurs en équipe de France, que d’inspecteurs de tables armés d’un smartphone. Au moins cela a remis l’église au milieu du village : un chef cela cuisine pour son client pas pour un guide.

Ainsi le guide de demain qui fera référence sera celui qui réussira le plus dans l’exercice de événementiel, car l’avis compte mais dans l’esprit du consommateur, il compte plus par l’avis de son contemporain et moins par celui de l’expert.

Aussi pour que la marque du guide existe, il lui faudra réunir les chefs qui auront les comptes instagram et twitter les plus importants pour imaginer des opérations communes avec d’autres marques. Ainsi, elle gardera une longueur d’avance auprès des blogueurs et des journalistes en les réunissant pour qu’ils parlent de l’endroit où il fallait être.

En réalité, le leader de référence est à ce jour Tripadvisor avec tous ses défauts et ses avantages. Les leaders de préférence sont les guides gastronomiques connus, respectés par les chefs par simple idée d’héritage et de reconnaissance.

Préférence aussi car les lecteurs de la presse aiment savoir qui devient mieux que l’autre et alors le journaliste met en lumière les ambassadeurs de territoires de demain.

Mais être ambassadeur à notre époque, ce n’est plus un statut : cela doit être un engagement. Les enjeux de comment et par qui nos enfants seront nourris sont essentiels, comment les familles se retrouveront autour d’une table pour échanger, rire, et le tout sans smartphone. La table conservera-t-elle cette idée sacrée de l’échange et de l’écoute ?

La cuisine est un acte d’amour. En amour, il faut en faire plus, il faut que cela soit intense, il faut le prouver continuellement, il faut que ce soit dans le regard émerveillé de l’autre qu’il se décèle.

Ainsi, en 2018, je pousserai toujours avec passion les tables de France et d’Europe, mais comme chacun de mes contemporains, j’attacherai plus d’importance à celles qui placent au centre de leur expérience, le partage de l’émotion, et au cœur de leurs préoccupations le parcours facilité du client, sublimé ici par les équipes de salle.

Demain, si la gastronomie excelle, l’audace en est l’étincelle.

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