Yannick Alleno – L’alpinisme culinaire

Si je proposais à Yannick d’aller ensemble gravir le Mont-Blanc, il me répondrait surement avec un large sourire : «Rémi, dans le monde, il existe l’Himalaya ! ». Le défi est une qualité dans la vie d’un homme, et quand celui-ci est toujours porté par la recherche de haute performance et de l’excellence, alors, inévitablement, cela me parle, m’intéresse et m’invite à réfléchir pourquoi certains défis arrivent même à délivrer des messages à ses contemporains.

C’est donc autour d’un dîner, accompagné de Philippe Labbé, que je suis allé rencontrer le nouvel Himalaya des Champs Elysées : Le Pavillon Ledoyen.

Pour tout vous dire, je n’avais encore jamais poussé les portes de ce temple… Le décor est…comment vous dire : « chloroforme » mais parce qu’il est compensé par une équipe en salle qui prend en charge les attentes du client, il s’oublie rapidement. Une large salle au rez-de-chaussée, un grand escalier, une salle au premier étage : lorsque vous regardez en détail vous vous apercevez que ce lieu à une âme…

Mais revenons à notre alpiniste. D’abord son ouvrage « Ma Cuisine Française », je l’ai découvert, Il y a seulement deux mois, autour d’un déjeuner chez Marc Meneau, qui possède peut être l’une des plus belles collections d’ouvrages culinaires.

L’année prochaine, le décor de l’établissement sera entièrement repensé avec le transfert du restaurant gastronomique au rez-de-chaussée… un alpiniste sait que gravir les plus grandes montagnes demande des étapes.

Monsieur Meneau a l’amour de la littérature et l’écouter parler de ses diverses lectures vous nourrit sur les pensées et l’avenir de la cuisine. Nous étions donc à table, évoquions les derniers ouvrages marquants, et il s’étonnât que je n’avais pas encore parcouru le livre de Yannick Alleno ; il demanda qu’on lui apporte. Avec humour, en coulisses, le Maitre d’hôtel disposa l’ouvrage sur un guéridon à roulette pour faire le chemin : 17 kilos de savoir, cela se transporte ! Le livre était devant nous prêt à être « découpé, dégusté.. ». Monsieur Meneau m’expliqua que le patrimoine culinaire est réparti avant tout dans différents territoires bâtis par des hommes est doit rester la propriété de tous : « c’est pour cela que les livres existent, pour ne pas oublier que le savoir doit se transmettre. »

Transmettre un sujet qui me touche surtout qu’au fil des pages, je découvre que l’on ne parle pas de gastronomie, mais de haute cuisine et à titre personnel, j’ai toujours fait la différence. La gastronomie peut s’associer à un joli souvenir de plat de grand-mère, il m’arrive même de penser qu’un plat dit « gastronomique » doit être servi dans des bistrots… il suffit de voir l’évolution de jolis restaurants souvent récompensés d’un bib qui ont lancé ce courant de « bistronomie ». Il existe environ 1500 maisons en France qui réalisent de la « gastronomie » mais la véritable question est combien font de la haute cuisine ?

La haute cuisine depuis 5 ans prend des courants qui viennent du nord…c’est pour moi une sorte de blizzard qui vient glacer notre patrimoine culinaire. Il y a dix ans ces mêmes courants venaient du sud avec les sphérifications, espuma… car un créateur avait décidé d’allier le produit à la technique culinaire pour en faire un laboratoire d’innovation. Ce fut une très grande réussite. Mais la cuisine du nord de l’Europe se résume à dresser sur le bord de l’assiette, voir faire de la fumée…c’est une sorte de « patrimoine » visuel pour les amateurs foodporn. J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi certains chefs importaient le « global du nord » dans les assiettes françaises quand le local était à portée de main.

Alors quand Yannick Alleno au-delà de l’ouvrage m’explique qu’il souhaite faire des recherches sur un des volets de notre patrimoine : la sauce, il s’attaque à la face nord de la montagne. Par la recherche, le travail collaboratif, la lecture, les essais, il est possible que cette démarche permette de revenir à l’essentiel : la quintessence des saveurs.

Alors, pour résister à la tendance du global, l’uniformisation du goût, il faut lancer des initiatives fortes, engagées, qui dérangent les autres pour créer de nouvelles traditions culinaires car «une tradition, ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi». Pour faire naître le progrès, il faut des hommes qui relèvent des défis.

 

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