Sans cette jolie profession d’acteurs à l’écoute du client, il n’y aurait pas de tables qui se distinguent dans ce paysage de gourmand et gourmet et il n’y aurait plus de client dans les restaurants. Qu’on se le dise : avec Séverine et Vitalie nous n’allons pas de table en table pour seulement la qualité de l’assiette ou la présence du chef…
Imaginez un restaurant récompensé dans les guides et équipé d’un service « drive » : Vous, installé dans votre voiture en train de commander un homard puis un ris de veau qui vous seraient délivrés plus loin dans un sac en papier.. « v’frez attention m’sieur, le beurre blanc peut couler dans l’auto »…voilà… vous visualisez….cela ne marche pas…
Cette profession est en mal de lumière mais ne manque pas d’éclairage auprès du client pour que la simple idée de se nourrir devienne expérience.
Et pourtant personne ne joue le jeu, les émissions de télévision sur la cuisine qui rencontrent moins de réussite ne pensent pas à imaginer de nouveaux axes, la presse professionnelle qui elle-même distingue chaque année, le meilleur chef, meilleur pâtissier, meilleur sommelier…ne pose pas encore le regard sur le meilleur Maître d’hôtel…et les guides gastronomiques donnent par exemple des grappes pour la qualité de la cave et toujours rien sur le service en salle…
Sur le point des guides, on me joue de faux contres arguments « mais si une distinction est accordée à un service en salle en janvier et que les équipes partent dans l’année…le symbole du guide n’est plus une référence ? » et alors, un guide peut très bien distinguer un service en salle avec un symbole à un instant T et si il n’est plus à la hauteur, il suffit de le retirer du site internet du guide en question : il n’y a plus que les fétichistes qui achètent des guides papiers, nos contemporains, eux, se renseignent avec internet..
Vous avez déjà mangé dans un restaurant étoilé / Toqué où on vous balance le turbot dans une écuelle en bois ?.. « pens’rez bien à faire à la rapporter à la plonge m’sieur quand vous auriez fini »..
La profession a gagné une partie des combats contre la distribution de chambre globalisée car le client lui coutait trop cher, elle cherche maintenant des solutions pour trouver plus de clients en direct et quand son établissement est complet : elle n’a plus de tête bien faite et de bras pour les servir…je ne sais pas combien de fois cette année, j’ai entendu « je ne trouve plus de personnel en salle. »
Esthétique, gentillesse et sincérité. C’est dans cet esprit que Gilles Galasso explique qu’il n’existe pas de personnel en salle mais des collaborateurs de cuisiniers au service du client.
Le volet de ce métier m’a été ouvert par José Dusaux professeur à l’Ecole Hôtelière de Poligny, en 1993, il cassait les codes, avec par exemple des nouvelles présentations de découpages des avocats cocktails (pour les professionnels, si tu ne l’as pas eu au BTH… on t’a demandé de faire des crêpes suzettes.).
Pour ma part, j’étais noté par des professeurs de Strasbourg, nos assiettes étaient superbes, la sauce cocktail parfaitement assaisonnée, mais tous les élèves avaient servi sans la peau de l’avocat et au choix réalisé des rosaces ou taillage très esthétiques : gestion de crise en plein examen, nous n’avions pas respecté le classique : moyenne de ma promotion sur cet exercice 10 /20…
Comme j’avais la crise d’adolescence pas loin, le lendemain, je suis allé chercher les couverts en argent de chez Jean Paul Jeunet, et j’ai dressé la table avec ceux-ci alors que tous mes collègues avaient pris les couverts en inox de l’école hôtelière.
Deuxième gestion de crise… « c’est un scandale ! Le matériel n’est pas identique, c’est un concours d’état ! »
Le professeur de Strasbourg m’a dans le collimateur, en plein examen me dit : « Pourquoi avez-vous des couverts différents ? » « Hier Monsieur, vous m’avez expliqué que la profession devait briller par les codes du passé, mes couverts brillent, cela devrait suffire pour avoir mon diplôme : vous en demandez pas plus je crois.. »…
A 18 ans, je n’avais pas pris exactement l’ampleur de mon propos, en plein examen, le proviseur du Lycée, Monsieur Berry était venu me parler pour m’expliquer que je confondais les enjeux, il avait raison. Au final, j’ai réussi je ne sais pas comment à obtenir mon diplôme.
A 40 ans (c’est dingue comme elle accroche cette crise de l’adolescence..), je regrette de n’avoir jamais avoir rencontré de nouveau ce professeur pour lui expliquer que j’ai obtenu plus tard le titre de Meilleur Ouvrier de France même si c’est dans une autre profession car en réalité l’homme a toujours cherché à améliorer sa connaissance, de façon à maîtriser son avenir.
Alors comme chaque semaine, je tente de trouver des nouvelles pistes, voilà ce que j’imagine pour cette jolie profession :
- Au recrutement de chaque cuisinier, celui-ci devrait passer 48 à 72 heures en salle pour comprendre les attentes des clients et mieux comprendre les enjeux des acteurs en salle
- Les guides gastronomiques devraient arrêter l’omerta sur le fait que l’assiette n’est pas tout et que, oui, le service contribue à progresser dans les étoiles ou toques et ils devraient même créer une nouvelle distinction
- La presse professionnelle pourrait se pencher sur l’idée de la récompense du « meilleur maître d’hôtel »
- Personne ne porte d’assiettes : C’est la combinaison de l’élégance, de la gentillesse, de l’art de recevoir et de la technique qui sont les forces de ce métier
- Le recrutement des équipes semblerait meilleur depuis les pays étrangers, souvent les jeunes gens parlent déjà plusieurs langues et l’idée du service a gardé ses lettres de noblesse. C’est aussi cela la construction de l’Europe.
- Les professeurs de restaurant devraient avoir plus de considération chez les professionnels pour ensemble faire évoluer le métier demain.
- Les Grande Tables du Monde, qui cherchent à plus communiquer, pourraient devenir leader sur ce thème, c’est un des ADN de la création de cette association.
- Tous les restaurants distingués devraient être membres et soutenir l’association http://oservice.fr/
- Maître d’hôtel devrait se conjuguer davantage au féminin, c’est un relais de croissance délicat pour cette profession
Vos idées complémentaires sont naturellement les bienvenues… Je vous laisse partager l’idée de ce billet sur les réseaux…
A la semaine prochaine…
djoo
« il n’y a plus que les fétichistes qui achètent des guides papiers, nos contemporains, eux, se renseignent avec internet » Magnifique cette phrase, et après ca s’étonne de pas être prit au sérieux … je ris 🙂