La tradition, ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi, mais comment donner à un progrès la meilleure des trajectoires ?

Depuis 96 ans, les théories et les pratiques qui ont accompagné l’évolution des entreprises, plus particulièrement celles l’hôtellerie et la restauration, ont peu évolué, voire stagné. Pourtant, en presque 100 ans, l’économie a vécu les 30 Glorieuses, plusieurs crises, et sur le plan de l’évolution de notre société, notre génération a vu voler en éclats deux symboles, d’un côté la chute du mur de Berlin et de l’autre Lehman Brothers…et malgré ces bouleversements, peu de conséquences sur les réflexions à mener pour les futures générations. Nous sommes depuis un siècle des spectateurs, comment pouvons-nous devenir des metteurs en scène ?

Le renouvellement des fondamentaux est toujours une tâche difficile : il demande de penser l’avenir à l’instant présent, qui lui est envahi de codes. Pour cet exercice, il faut arriver à faire abstraction des enseignements et préceptes que nous avons reçus, pour ne conserver que l’essentiel : les valeurs collectées au cours de nos expériences. L’objectif étant d’établir de nouveaux codes pour qu’ils deviennent à leur tour traditions. Car la tradition, ce n’est jamais qu’un progrès qui a réussi.

Créer un nouvel élan n’est pas chose simple : il demande au créateur (chef d’entreprise, directeur d’hôtel, chef de cuisine, directeur de salle..etc..), une très forte période de doute pour poser le concept. Ce dernier ne pourra prendre vie que si il est structuré car c’est la structure qui apporte la conviction et la conviction, elle apporte l’excellence. La structuration d’un nouveau concept fait obligatoirement vivre une courbe du changement à ses collaborateurs. Désapprendre pour réapprendre… Alors la trajectoire que l’on donne à un nouvel élan devient plus importante que l’élan lui-même.

Prenons un exemple excessivement simple : chaque professionnel en restauration que je rencontre m’explique qu’il est difficile de trouver des collaborateurs pour le service en salle et que les préceptes d’autrefois ne sont plus sus. A titre personnel, lorsque je vais au restaurant, mes invités et moi buvons des eaux souvent différentes (plate ou pétillante) et à chaque fois pendant un repas, nous sommes sollicités lorsque nous n’avons plus d’eau : « vous avez pris de l’eau plate ou pétillante ? » Mais bon sang pourquoi, une bonne fois pour toute, les professionnels ne mettent-ils  pas des verres des couleurs ou des sous-verres sous la bouteille pétillante pour se souvenir ! Pourquoi déranger le client à chaque fois ? Certains chefs me disent « cela doit faire partie de leur savoir de mémoriser ce genre de chose »… Je ne vois vraiment pas pourquoi nous devrions encombrer l’esprit de collaborateurs de choses inutiles…. Alors qu’on tente de nous opposer les chefs étoilés avec des nappes ou sans nappes pour savoir si « la révolution » est en marche, la profession ferait bien mieux de se poser la question sur ces petites évolutions afin d’améliorer le confort du client.

Un autre constat, toujours sur le service en salle : vous êtes à une table de plusieurs personnes en grande discussion sur un contrat que vous négociez. Vos enjeux sont importants ou encore autre situation : en couple et vous êtes en train de faire une jolie confidence, et au cœur de vos échanges : le plat arrive. Droit comme un pic, vous avez un maître d’hôtel qui se plante devant vous pour vous réciter l’épopée de ce plat. Je dis bien l’épopée : un poème glorieux dédié à Dieu « le chef, créateur»… J’ai souvenir qu’à l’école hôtelière, j’avais eu l’avocat-cocktail au bac, mais malheureusement pas des cours sur la psychologie et l’attention à apporter au client d’une table. J’ai passé mon premier diplôme en 1996 : il est toujours au programme : l’avocat (inutile)… L’écoute d’une table, le ressenti d’un convive s’enseigne, se transmet, mais n’est ni au cœur des préoccupations de l’Éducation Nationale, et peu de professionnels mettent en place des livrets d’accueil et des suivis collectifs lors des phases d’apprentissage de leurs collaborateurs au service du client. Alors, nous, clients, nous subissons, nous faisons comme si il était « obligatoire » de se faire faire l’énoncer quelle que soit l’expérience que vit la table.

Qu’on se le dise, notre résistance à l’innovation vient de l’hérésie : du « c’était mieux avant ». Je me souviens de certaines discussions avec d’autres chefs : « avant dans les maisons « on en chiait », c’était dur ! Maintenant c’est fini tout cela, ils veulent tout pour rien.. ». Personnellement, je pense que le management en cuisine dans les années 80/90 allait jusqu’à l’esclavage, et les chefs aux commandes d’aujourd’hui le savent. Alors pourquoi le répéter ? je sais que c’est compliqué de se « remettre » à 30 ou 40 ou 50 ans à des formations en management.. Mais c’est aujourd’hui nécessaire pour mieux comprendre et fidéliser les collaborateurs qui rejoignent les brigades. Eux n’ont pas changé : ils sont déjà différents.

Mais tout cela est bien normal car toute l’organisation d’un hôtel et d’un restaurant date de 96 ans, date du « guide culinaire d’Escoffier », et les chefs les plus étoilés ont repris ce concept archaïque dans les palaces sans rien changer. Cette philosophie du « guide » à inséré dans l’esprit collectif la recherche de la perfection : je suis contre, elle n’existe pas dans la nature, c’est pour cela qu’elle est si envoûtante.. En revanche, je suis pour mettre l’excellence au cœur des pratiques.

Je ne suis pas Meilleur Ouvrier de France, Cuisine, Sommellerie ou encore Maître d’hôtel, mais MOF Multimédia & Internet… Qui aurait cru que cette classe existe un jour ? Pourtant, dans un environnement dit de métier « manuel », une institution entame peu à peu un renouveau basé sur des valeurs et d’autres nouveaux métiers liés aux services vont encore voir le jour cette année. Ce titre ne me sert qu’à une chose : délivrer mes recherches ou mes travaux pour apporter une contribution afin qu’ensemble nous fassions progresser un environnement, réfléchir à l’établissement de nouveau fondamentaux.

Une grande majorité de chefs, directeurs d’hôtels, propriétaires de chaîne, m’interrogent sur des basiques qui permettent dans l’univers du marketing, de l’internet ou de la communication d’imaginer demain. Le but de ce billet est de vous faire partager les enseignements, que j’ai appris, qui permettent aujourd’hui de mettre en corrélation un marché, un projet, une entrepreneur et une trajectoire.

Pour chaque élan que vous souhaitez donnez à l’évolution de votre entreprise: il existe plusieurs techniques pour structurer vos trajectoires, je me permets de vous délivrer 3 fondamentaux issus du marketing : Les 4P, les 5E et le 6S.

  • Les 4 P :

Produit: la politique du produit ou service
Prix: la politique du prix
Place: la politique de distribution/vente
Promotion: la politique de communication, publicité,…

C’est un classique qui fait foi depuis des décennies, dépassé de mon point de vue, une nouvelle tendance consiste à les remplacer les définitions des P pour les remplacer par :

Personne : souligne l’importance du personnel dans le succès du marketing et donc la nécessité d’orienter le marché dans l’ensemble de l’organisation

Processus : La prise de décision marketing dépend désormais du processus organisationnel

Programmes d’actions : Ils intègrent toutes les activités de l’entreprise dédiées aux clients

Performance : Les décisions marketing doivent être optimisée en termes d’impact et mesurées en intégrant les dimensions sociales et environnementales.

Ces nouvelles définitions sont certes plus actuelles, mais l’on fait rarement du neuf avec du vieux.

  • Le second, plus intéressant, est le : 5 E.

E comme Essence : Plus la marque est capable d’exprimer des valeurs en cohérence avec celle du consommateur, plus elle suscite et renforce le sentiment d’attachement. Elle considère ses clients.

E Comme Emotion : L’émotion est le vecteur, tout passe par elle. Un bon produit est nécessaire, mais n’est pas suffisant. Dans un premier temps, lorsque le consommateur écoute un message. L’émotion ressentie influe sur sa perception du produit ou de la prestation. Ce n’est qu’ensuite qu’il rationalise et réfléchit à son acte d’achat.

E Comme Engagement : L’engagement de la marque doit venir de ses dirigeants fondateurs, puis relayé par les collaborateurs dans l’organisation et ensuite elle doit être partagé avec ses clients.

E comme expérience : L’invitation à vivre autrement et à profiter d’un produit ou d’un service est fondamental.

E comme échange : L’échange repose sur l’écoute et le conseil que la marque peut faire valoir. Les conversations initiées dans les réseaux sociaux devraient permettre aux marques d’améliorer leur communication.

  • Il existe aussi un basique autour 6S : Situation, Satisfaction, Socialnetwork, Sécurité, Sensibilité au prix, Séduction.

Mais vous l’avez compris en relayant avec détail le 5 E, je prends une position sur le basique que je pense le plus adapté pour réfléchir à la structuration du service de l’hôtellerie et la restauration de demain.

Alors pourquoi attacher ce (long) billet à Romuald Fassenet lors de ma dernière aventure culinaire ? D’un point de vue personnel, cela explique pourquoi je vais visiter autant de restaurants (pas pour prendre seulement des photo de plats!). Pour moi, cet espace de sérénité me redonne la niaque pour poser de nouvelles idées..

Chez Romuald, tout est partie d’une réflexion autour de la cuisson d’un carré d’agneau : dans son esprit la plus belle des cuisson pour ce produit est à étouffée, et de son point de vue la cuisson seulement rôtie pour servir rosée la pièce n’est pas la meilleure des réussites pour la quintessence des saveurs. Au départ, il grille du foin au four avant cuisson et glisse le tout en cocotte, la cuisson du carré d’agneau est volontairement plus longue, alors les saveurs du foin se fixent sur la viande et elle garde tout son moelleux. Alors Catherine (son épouse) ne demande plus au client, la cuisson de ce plat… un code tombe, un progrès naît, une tradition se profile…

Dans un autre contexte, j’entends souvent que les « meilleures dégustateurs de viande rouge ne mangent que saignant »… A mon sens pour les viandes très persillées… Il faut les cuire plus longtemps car la graisse fond plus facilement et le goût est décuplé.

Alors pourquoi allier le l’internet, le marketing, la cuisine et l’hôtellerie ? Essence, Emotion, Engagement, Expérience, Echange…vous ne trouvez pas qu’il existe certaines connivences. J’ai en tout cas ressenti cela au cœur du Château de Montjoly ces 5 phases, alors tout simplement, j’ai voulu allier plaisir de la table et réflexion sur la structuration du progrès et je suis sûr que vos commentaires seront enrichissants !

 

 

Partager ce billet

Be first to comment