C’est au détour d’une soirée que j’ai la chance de rencontrer un contre-amiral de 84 ans aux yeux bleus perçants qui a dans sa carrière commandé 5 bateaux différents. En un instant, je me suis posé la question si l’organisation militaire souvent décrite comme similaire à l’organisation d’une brigade de salle ou de cuisine était la meilleure des solutions.
J’ai d’abord été frappé par le calme des propos, je m’attendais à un discours conquérant basé sur de vieux réflexes de management autocrate. Sur un bateau de guerre, je pensais que des Hommes enfermés pendant des mois et ayant des pressions quotidiennes face à la mer et avec des opérations dangereuses étaient managés par courant de peurs pour mobiliser.
Il fut presque choqué par mon propos, et me demanda même s’il existait encore des corporations travaillant avec ces concepts d’antan !
Sa première réflexion a été de m’expliquer qu’au contraire du monde de l’économie, le monde militaire avait comme premier enseignement l’humilité, par exemple à chaque fois qu’il allait sur un nouveau bateau, il passait de « pacha » (le boss de la passerelle) de son ancien bateau au début du management de son nouveau bateau. Ainsi au cours de sa carrière, il recommençait des cycles d’apprentissage des Hommes et de la machine qui lui était confiés pour un jour redevenir Pacha.
« Vous comprenez Monsieur Ohayon, dans le civil, parce que l’orgueil nourrit les carrières, de nombreux pensent qu’il ne faut qu’avoir des gallons successifs de poste en poste ou de maison en maison, il n’y a peu de remise en question, ainsi de nombreux managers sont devenus des barons »
Nous avons abordé la question du stress, il prit l’exemple d’un exercice : faire le plein de gasoil en pleine mer déchainée, l’exercice est dur, mal fait il peut même être mortel. « vous comprenez, ma responsabilité première c’est d’installer la confiance, la confiance en mes gars, la confiance en nos méthodes, la confiance c’est le cœur du bateau, quand le pacha quitte la passerelle, il nomme une autre personne pendant son absence, et je choisissais des personnes différentes pour expliquer à mes gars que je souhaitais avant tout tous les considérer, cet acte de valeur, me laissait une autre liberté : descendre en cale pendant la manœuvre compliquée, et quand un pacha est aux côtés des personnes qui vivent les moments les plus difficiles, nous développons la culture de l’exemple. C’est ce qui manque à votre monde de l’économie, vous pensez parfois que parce que vous faites du luxe, vous vous mettez une pression de dingue, alors que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui devienne exemplaires pour l’autre, on évoque même maintenant le terme d’inspirant »
C’est vrai que la tension lors d’un service dans un restaurant peut exister, lors d’un imprévu, certains fabriquent du stress pendant cette séquence, d’autres plus aguerris fabriquent du trac mais uniquement au début de service et se reposent avant tout sur leur structure, ils appliquent des méthodes gagnantes comme ma confiance lorsqu’un évènement survient, il existe deux approches dont une au final est celle du contre-amiral : Exemplaire.
Le stress : c’est la peur de faire (un état anormal), le track : c’est la peur de mal faire (un état normal), malheureusement si votre manager vous met dans un état de stress pendant une séquence de jeu (en plein service) les équipes perdent leurs moyens, une ambiance de méfiance s’installe : en un mot : la qualité de la prestation baisse par l’instauration d’un régime de la peur. L’amiral le décrit bien, « tu es en pleine mer, elle est déjà déchainée ! tes gars sont à la manœuvre, tu penses que le rôle du pacha est d’apporter encore plus de pression ? »
Manager n’est pas un métier facile, car être un professionnel, ce n’est pas un état mais un équilibre, le monde change, la concurrence va vite, les collaborateurs ont d’autres aspirations, la clientèle est plus exigeante et souhaite des nouveaux repères pour faire confiance à une marque.
Pour décider, un manager a plusieurs enjeux : Il faut savoir EXIGER, CONSIDERER et RECADRER au cœur d’une entreprise qui est souvent bourrée d’incertitudes et de complexité.
Coopérer avec ses équipes, responsabiliser son entourage ou rendre autonome les équipes pour qu’ils gagnent en motivation n’est pas chose simple, en restauration, il existe en plus plusieurs séquences de jeu : la préparation, le service, le rangement et nettoyage. « Nous avons des missions qui sont presque similaires, Rémi, vous permettez que je vous appelle Rémi ? et comme je vous l’indiquais, notre management est celui de l’exemple et de la confiance, si vous confiez des responsabilités à chacun, vous décuplez les forces de votre commandement, ce n’est pas le nombre de tâches qui est important, c’est l’autonomie que vous donnez à vos gars tout en leur rappelant l’engagement qu’ils ont envers l’autre et leur drapeau : c’est quoi les valeurs dans les établissements que tu conseilles ? s’ils partent du principe que c’est le luxe, c’est peine perdue, il faut qu’ils trouvent les valeurs qui flottent au mieux pour eux, notre drapeau à nous il bleu blanc rouge, qu’ils trouvent leur couleur. »
C’est une évidence, poser de bonnes décisions pour un manager, c’est d’abord comprendre la temporalité et son terrain : suis-je dans une séquence de jeu et dans les vestiaires ? Les messages ne peuvent être les mêmes. Une séquence avant service peut mobiliser les équipes, problème les briefings sont rébarbatifs car ils sont répétitifs et de plus en plus la séquence : « donner de la niaque » a disparu pour mobiliser les troupes. C’est pourtant là où tout se joue car on vérifie, on communique, on prépare : les mots du vestiaire : le rappel des valeurs, du sens de pourquoi nous donnons autant à ce métier.
Ensuite de nombreux managers pensent encore que pendant « la séquence de jeu » c’est par la montée en puissance de l’adrénaline que les meilleurs services se déroulent, hors ce phénomène de sécrétion n’est bénéfique que pour le chef, lui étant à ce stade dans une démarche proche de réaction autocrate, il fabrique une conception de la toute puissance par l’élévation de la voix, l’attitude sévère et l’accélération, Il libère des hormones qui rapidement le font ensuite passer à un autre stade : celui de la libération, et 15 à 20 minutes plus tard, parfois certains ont même changé d’attitude et épousent un comportement de compréhension et de bienveillance, voire même vont s’excuser de leur attitude pendant le service.
Cependant la séquence est mal vécue par les équipes qui n’arrivent plus à reconnaitre un premier de cordée pour les aider à savoir comment corriger le tir immédiatement et si l’on va plus loin à perdre confiance sur comment jalonner leur avenir grâce aux conseils, et malheureusement, ils répéteront ce comportement pensant que c’est la bonne méthode.
« Ce que vous me décrivez n’est pas possible sur un bateau de guerre, nous réalisons de nombreuses répétitions pour la meilleure réalisation de nos missions, c’est pour cela que nous sommes toujours prêts, en aucun cas nous ne ferions monter une situation de crise au cœur de l’action, encore une fois, explique qu’il faut que confiance s’installe, ils vont dupliquer les forces de leur propre équipe. »
Pour ne plus épouser cela, un manager doit travailler la confiance en soi. Pour ce faire, il faut trouver son rôle, être manager c’est être un numéro 10, un sélectionneur ou un entraineur ? En fonction de la structure du restaurant des réponses se dessinent, mais il faut aussi que l’on sente au fond de soi le rôle où l’on crée le plus de valeur. La réponse qui consiste à penser que nous sommes les 3 est une erreur, car les seconds doivent prendre des rôles. Même les appeler « second » est une erreur. Le jour où le second sera chef et le chef sera le chef exécutif ou autre, cela changera la vision de l’organisation. Mais comme l’on confond communication externe et organisation interne dans l’instant nous restons statiques depuis Escoffier, rappelez-vous l’amiral : il nommait des personnes différentes quand il était absent de la passerelle.
Alors maintenant lorsque l’on me dira que « l’organisation d’une cuisine est militaire, c’est pour cela que nous avons ce tel management », je leur raconterai ma rencontre avec le pacha.
J’expliquerai que dans le management militaire, l’anticipation, l’entrainement, la répétition, la confrérie est forte, que dans les séquences d’entrainement avant une action, ils devancent même les imprévus en établissant des protocoles de réaction de management. Ils structurent par la méthode, atteignent une certaine quête d’excellence par ce qu’ils mettent au cœur de leur cheminement : la confiance et l’exemple.
Comprendre le sens, donner des objectifs, établir une méthode et débriefer après une séquence de jeu pour faire évoluer ses protocoles est un management complexe, mais qui conduit à une chose : la victoire.
