Les faux avis de consommateurs : l’art de faire et défaire une e-réputation

Avis de consommateurs et e-reputation, par Rémi Ohayon

Selon le troisième « baromètre des avis de consommateurs », réalisé en 2012 par Testntrust, 81 % des Français interrogés pensent que ces avis sont « fiables » voire « très fiables ».

Or, d’après une enquête d’UFC-Que choisir sur l’hôtellerie-restauration, près de 30 % de ces commentaires, postés sur des sites spécialisés, TripAdvisor en tête, sont « bidonnés ».

Les avis négatifs peuvent, en effet, être publiés par un hôtel ou un restaurant peu scrupuleux pour causer du tort à leur concurrent, mais aussi par des clients de mauvaise foi dont les plaintes sont totalement infondées, ou encore – comme me l’a raconté un ancien inspecteur du Guide Michelin – par un apprenti éconduit qui va poster, pour se venger, des commentaires assassins sur l’établissement qui vient de le licencier.

Impossible pour l’hôtelier-restaurateur de s’en prémunir.

Même s’il n’a rien demandé, TripAdvisor va le référencer, comme dans un annuaire, et accueillir, sans aucun filtre, tous les avis des internautes, même les faux. L’image de marque de l’établissement malmené peut alors être sérieusement entachée, au point d’accuser une baisse conséquente de son taux de fréquentation.

Les avis favorables ne sont guère plus fiables.

Pour assurer eux-mêmes leur auto-promotion ou redorer leur blason, certains hôtels-restaurants n’hésitent pas à rédiger eux-mêmes des commentaires élogieux, sous une autre identité. Parfois, ces établissements peuvent même faire appel à des sociétés spécialisées dans l’e-réputation qui proposent, pour 99 $ par mois, un « package » de cinquante avis positifs.

En France, cette pratique est illégale et passible de deux ans de prison, mais il n’en va pas de même à l’Île Maurice ou à Madagascar, par exemple. En juin 2012, un excellent reportage de Spécial Investigation, intitulé « Vacances, derrière la carte postale », diffusé sur Canal+, dénonçait ces pratiques, pointant du doigt TripAdvisor qui laisse publier sur son site de faux avis sur les hôtels, fabriqués de toutes pièces par ces officines spécialisées.

Équipé d’une caméra cachée, un étudiant malgache complice avait réussi à se faire embaucher dans une de ces agences d’« e-réputation ». Après avoir reçu quelques recommandations du genre « Si tu n’es pas inspiré, tu peux toujours réécrire des avis déjà postés », il entreprend de concocter des appréciations qui seront immédiatement publiées sur TripAdvisor, sans en vérifier la fiabilité et l’authenticité.

Contrairement aux portails de réservation en ligne comme Booking.com, où il est possible de poster un avis seulement si l’on a séjourné ou mangé dans l’établissement – le site exigeant le code de réservation –, il suffit, pour les sites d’avis de consommateurs, de créer un nouveau profil avant la rédaction d’un nouveau commentaire, et d’utiliser différentes adresses de connections internet pour agir en toute liberté et publier tout et n’importe quoi sans se faire coincer.

Tous possèdent pourtant bien un service de modération mais qui, apparemment, ne remplit pas correctement son rôle. En avril 2013, TripAdvisor a d’ailleurs été la risée des journaux anglais en classant dans son top 100 un hôtel pour sans-abris, le Bellgrove Hotel à Glasgow, en Écosse. Plusieurs faux avis vantant la beauté du marbre, le cristal des lustres ou le service cinq étoiles ont été publiés, sans que le site décèle la supercherie !

Le leader TripAdvisor s’en défend, arguant qu’il est impossible de vérifier tous les avis car il y en a trop ;environ soixante par minute. Heureusement que les contrôleurs aériens n’en disent pas autant dans le domaine de l’aviation !

Plus sérieusement, vérifier tous les commentaires et évincer les plus douteux avant publication amputerait le volume d’avis et donc fatalement le chiffre d’affaires gargantuesque de TripAdvisor : 100 millions d’avis et 44 millions de membres depuis 2007, 2,737 milliards de $ de chiffre d’affaires cumulé de 2007 à 2012. Ce chiffre d’affaires a pour équivalence : 27,37 $ par avis ou 62,21 $ par membre. (Précision actualisée en mai 2014 par l’auteur : en 2013 le CA de Tripadvisor est de 694 Millions d’euros pour 150 Millions de résultat – en conséquence nous serions à 14 € par avis – source magazine Capital)

Sa capitalisation boursière est estimée à 11,19 milliards de dollars. Un marché pour le moins juteux, que TripAdvisor n’a aucune intention de restreindre !

Au Royaume-Uni, suite aux plaintes de deux hôtels et de KwikChex, entreprise de gestion de réputation, qui reprochaient à TripAdvisor de ne pas vérifier la fiabilité et l’authenticité des avis postés, l’Advertising Standards Authority (ASA), gendarme anglais de la publicité, a rendu son jugement le 1er février 2011, demandant au géant américain de ne plus revendiquer ou laisser entendre que tous ses avis apparaissant sur son site web sont honnêtes, réels ou fiables, et qu’ils proviennent de vrais voyageurs. Sentant le vent tourner dès la fin 2011, TripAdvisor a remplacé son slogan « Reviews you can trust » – avis de confiance – par un plus modeste « Reviews from our community » – avis de notre communauté.

En France, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a lancé, en 2012, une grande enquête pour épingler les entreprises qui font leur auto-promotion par de faux avis de consommateurs sur internet. Ces dernières, coupables de « pratiques commerciales trompeuses », n’ont pas encore été condamnées. L’Association Française de Normalisation (l’AFNOR) se penche, quant à elle, sur la création d’une norme pour lutter contre les faux avis d’internautes, déposés par les professionnels désireux de dorer leur « e-réputation ».

Mais l’AFNOR et la DGCCRF ont-elles vraiment les moyens d’endiguer l’auto-promotion sur internet ?

Chapitre « Les faux avis : l’art de faire et défaire une e-réputation» Extrait de l’ouvrage – Addi(c)tion, le Hold-up des intermédiaires en ligne aux éditions page d’écriture. Auteur Rémi OHAYON

Addiction : dépendance d’une personne ou d’une entreprise à une activité génératrice d’espoir, dont elle ne peut plus se passer en dépit de sa propre volonté.

Addition : ensemble des charges supportées.

http://www.addiction-shop.travel/

Addiction - intermédiaires du tourisme en ligne par Rémi Ohayon

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