Je ne sais pas si vous avez dernièrement tenté de réserver par téléphone une table dans un restaurant gastronomique, mais très rapidement lors de l’échange, la majorité des équipes à la réservation demande si vous venez pour une occasion spéciale, autrement dit : les clients vont dans les restaurants haut de gamme uniquement pour fêter quelque chose.
D’un autre côté, sur les logiciels de réservation en ligne certains proposent déjà le choix du menu, comme si quelques semaines à l’avance, vous saviez déjà ce dont vous aurez envie.
Une fois assis, la préoccupation reste les allergies alimentaires, il m’arrive même que l’on nous pose la question à plusieurs reprises et même avant de nous donner la carte. Dans l’une de mes dernières expériences, alors que je venais de répondre non, délicatement, on m’a redemandé, vous êtes sûr ? Et comme je suis toujours un homme d’hypothèses avant de trouver des solutions, mon cerveau gauche voulait répondre, « si en fait, je suis allergique aux cons », mais mon cerveau droit plutôt mieux éduqué, a simplement répondu, « j’en suis sûr ».
Mais en réalité cette obsession, même si je sais bien que 30 % des clients ont maintenant des intolérances réelles ou fantômes, obstrue complément la relation initiale qu’il faut créer avec un client pour qu’il se sente bien. S’intéresser à lui n’est pas obligatoirement lié à l’organisation de la prestation, un simple, « vous venez de quelle région ? » pour entamer le débat, le cerner et créer une discussion, un échange est plus vertueux qu’un simple interrogatoire au service de l’organisationnel.
Ensuite, vient le choix, enfin en gastronomie un choix, c’est un mot qui n’existe plus.
C’est plutôt une formule, un peu comme chez Flunch ou tu choisis le nombre de plats car le choix n’existe plus dans la grande majorité des restaurants qui montent en gamme, vous avez maintenant des 4, 6 ou 8 ou 42 séquences et pas de choix entre les séquences et pour l’ensemble de la table ! Comme tout le monde le sait, tous les clients autour d’une table aiment les mêmes choses, au même moment.
La gastronomie se transforme en directive où le roi c’est le chef et plus le client. Et lorsque le menu que vous n’avez pas pu choisir arrive, vous avez une sorte de succession d’amuse-bouches qui s’enchainent où la mode est de créer des plats satellites autour de l’assiette, pardon, de l’amuse-bouche principal. Trois fois plus de boulot, pour des satellites souvent médiocres, mais qui portent bien leur nom, être en orbite : ce n’est pas avoir les pieds sur terre.
Finalement, la gastronomie fait le bonheur des fabricants de porcelaine, soyons heureux qu’une filière se porte bien.
Cette uniformisation de l’offre m’interroge. D’abord d’un point de vue de la transmission, car si les équipes réalisent les mêmes plats à chaque service, chaque semaine, chaque mois, quel bagage ont-ils en sortant d’une grande maison ? Ce phénomène de la répétition vient aussi du dictat des guides qui prônent une sorte de « régularité » pour la montée en gamme des maisons, pas l’innovation ou la créativité, mais la régularité, une sorte de vision industrielle du segment luxe pendant que d’un autre côté, la mode prône que c’est la collection différente chaque année qui crée l’émerveillement du client.
Ce qui induit, que la gastronomie n’est plus un produit de luxe mais un produit prémium.
Le luxe ; c’est Bugatti ou Rolls-Royce, du sur-mesure, le prémium, c’est une Mercedes ou une Audi où tu choisis un pack sport ou confort… pas plus. Cependant, je comprends que ce les professionnels de secteur s’adaptent aussi en fonction des ressources humaines disponibles pour calibrer leurs offres. Mais peut-être qu’ils en trouveraient plus ou les conserveraient plus longtemps si la ligne éditoriale de leur cuisine (et pas la répétition d’un plat), la mission de leur entreprise, les engagements qu’ils peuvent avoir pour les équipes ou leurs clients soient mieux compris. Dernièrement, nous étions dans un restaurant à menu imposé où au moment du fromage, nous est venue l’idée d’en commander un en plus sans prévenir pour finir un flacon. La réponse du Maître d’hôtel a été : comme notre chef n’aime pas le fromage, je ne peux pas vous en proposer. Evidemment le segment « bas de gamme » existe avant le premium et le luxe.
Alors, selon vous, la Gastronomie rime-t-elle encore avec la définition d’un restaurant ?