Tout d’abord un grand bravo à toutes les équipes autour des chefs et des cheffes pour les distinctions obtenues, faire partie d’une team à succès reste gravé dans les mémoires et donne de l’élan à sa carrière.
C’est à la baisse que nous pourrions qualifier la tendance de ce nouveau millésime, en ne parlant que des faits : en 2022, 627 restaurants dont 41 nouveaux étoilés alors qu’en 2021, 638 dont 57 nouvelles tables, cependant 19 tables ont été rétrogradées suite à une fermeture ou un changement de concept. Les ouvertures, moins importantes que les autres années, ont pour certaines été reportées. Ceci explique donc cela.
Ce qui m’a frappé à la sortie du Guide Michelin, c’est que la presse grand public dès le lendemain voulait mettre en avant les tables étoilées à moins de 40 euros comme RTL qui dès le matin publiait la liste des tables accessibles.
Cet acte est révélateur d’un secteur difficile à positionner. Un secteur du haut de gamme que l’on contraint à faire du prêt à porter pour exister, voire réussir, et c’est l’incohérence de notre gastronomie en France : faire du luxe accessible alors que nous savons produire de la maroquinerie, des parfums ou de la couture haut de gamme.
Enfin, la presse people, c’est elle directement concentrée sur « 8 étoiles pour les candidats et jurés de Top Chef », et une autre presse a voulu prendre du recul était sur le thème « Mais où sont les femmes. » Et je suis surpris que ce sujet ne mobilise personne, même pas les femmes, il y a 15 jours j’avais publié un billet sur ce sujet : un flop.
Mais revenons au classement :
De 2 à 3 ou devrais-je dire de 0 à 3 : Mon analyse n’est pas de décrypter si cela est la bonne sélection ou pas, mais de partager avec vous qu’il existe une grande différence entre les 3 étoiles qui remontent de 10 à 15 ans et celle des millésimes actuels. Souvenez-vous, il y a presque une génération, chaque année nous savions que 2 ou peut-être 3 tables par an pouvaient prétendre au sacre, mais depuis 10 ans, le niveau des 2 étoiles a fortement progressé. Regardez le nombre de maisons que l’on pourrait qualifier à 2 étoiles +, elles sont au moins 20 en France. En réalité, la sélection est plus dure pour un comité car le niveau n’est jamais allé aussi haut en France et c’est tant mieux.
De 1 à 2 étoiles : Des grosses écuries sur le podium ! Il faut bien comprendre que cela ne remet pas en question la qualité des chefs et leur équipes, cela pose juste la question du niveau de cette compétition. Par exemple, entre un Frédéric Doucet, qui pendant ses jours de congés travaille sur la rénovation des chambres de son hôtel ou la comptabilité et un David Bizet qui a la chance de se concentrer sur l’avenir des cuisines : « ben on ne fait pas le même métier ». Et en réalité, les maisons qui cherchent une deuxième étoile ont peu besoin de coach culinaire, mais de coach d’entreprise pour les aider à structurer et faire la différence entre l’important et l’essentiel. Mais je le rappelle, l’essentiel est de posséder une maison financièrement saine pour pouvoir payer correctement ses équipes et ses fournisseurs et investir raisonnablement pour pérenniser son entreprise.
De 0 à 1 étoile : D’après les pronostics, il aurait dû y avoir plus d’élus pour 2022. Certains parlent même d’oublier, mais j’aimerais croiser plusieurs observations.
D’abord sur la cuisine française, elle se réincarne par le local, mais s’éloigne parfois des principes qui la rendent unique.
Sur ces dix dernières années, j’ai eu la sensation que la star, c’était le produit du coin. Or quand on cuit une excellente côte de bœuf, la star c’est l’éleveur, ce n’est pas le cuisinier, il l’a juste mise dans une poêle. Le talent est de revenir à un des fondamentaux qui est la profondeur de la sauce, véritable patrimoine de notre cuisine qui par ses senteurs pourrait être comparée au grand nez de nos vignerons ou de nos parfumeurs.
Depuis 3 ans, dans les tables en devenir, « je m’en tape » quand même pas mal des bouillons, des eaux de tomates, des jus courts : je me suis même posé la question si Knorr ne devait pas faire de la R&D dans certaines tables. « Je m’en tape » aussi des sauces avec le trait d’acidité trop prononcé, « mais c’est pour twister, Rémi pour réveiller le produit ! »… «mais à cause de ces déséquilibres, lui le produit, il est mort deux fois.».
Il y a enfin la cuisson qui devient sans âme car pour être à la nacre on passe une grande partie des poissons à la vapeur, ou des viandes en cuisson basse température sans réfléchir au reste de l’assiette. En conséquence, l’expérience gustative manque de mâche. De nombreux conseillés expliquent qu’il doit y avoir que 2 à 3 saveurs pour être lisible, visible. Pourquoi pas, je pense qu’un plat doit surtout avoir 3 marqueurs : le goût (saveur, assaisonnement…), la structure, (croquant, craquant, croustillant..) et la couleur (car elle met en appétit comme en émoi). Bien entendu le circuit court ou le locavore ou la juste saison sont les basiques de toutes cuisines.
Ce qui veut dire que oui, de nombreuses tables peuvent prétendre, mais il y a encore trop de fulgurances dans la carte, c’est-à-dire des plats de haut niveau face à d’autres qui demandent encore de la réflexion et une première étoile c’est autant de régularité sur l’ensemble des plats, que l’ensemble des services et pas un ou deux exploits parmi la carte.
J’aimerais aussi vous parler deux autres thèmes qui me touchent, une moins joyeuses que l’autre : D’abord la perte de l’étoile des Gorges de Pennafort, je ne suis rien pour remettre en question cette décision car je n’ai pas le talent d’un inspecteur, mais je sais aussi qu’accompagner la renaissance d’une maison, c’est parfois un simple signe qui donne confiance à l’esprit d’une équipe pour rebâtir un avenir. J’ai une pensée pour Martine, Anthony, Frédéric pour leur dire que leur engagement est juste et qu’une forme de résilience peut s’installer pour un jour de nouveau se dépasser.
Enfin, le second thème est ce que j’appelle les tables invisibles. Je crois que nous pouvons inviter les journalistes à peut-être faire leurs papiers sur deux tables : la première en Alsace, celle tenue par une femme Mariella Kieny où tout le monde tente de comprendre pourquoi cette région n’a pas 3 étoiles, alors qu’elle devrait se poser la question comment La maison Kieny en ayant changer de chef et 80 % de ses équipes en cuisine maintiennent l’étoile et mieux, propose en plus des assiettes de haute volée. Ensuite la deuxième mise en lumière, comme à leur habitude, ils ne feront pas de bruit, seront même gênés d’être exposés si la presse tombe sur mon billet : c’est la maison Coussau à Magescq, cette année 50 ans de 2 étoiles ! 50 ans ! et au fait, il n’y aurait pas une femme en cuisine ? Parce que depuis deux ans, tonton a fortement amélioré son swing (et j’en suis ravi pour lui) alors que Clémentine sans bruit fait un parcours remarquable. Alors les journalistes : où sont les femmes ?
Il se peut que le Guide Michelin sorte beaucoup plus tôt pour 2023 que l’édition 2022. Certains parlent même de décembre, ce qui est sûr c’est que cela sera toujours en région. Il parait qu’une short list existe : haut de France, Alsace et Rhône-Alpes.
Et n’oubliez jamais : merci de cuisiner pour nous, les clients.