Il y a de nombreuses années, alors que je venais de terminer un repas au Crillon, à l’époque avec Pierre Bouckaert où Jean-François Piège officiait, nous avions eu un bref échange à la fin de mon expérience avec le chef, qui m’avait amené à réfléchir sur le sens de la cuisine de terroir depuis l’invention de la roue et du froid. De son point de vue, il était possible de récréer les meilleures conditions d’une recette partout dans le monde.
Presque 10 ans plus tard, je commence à esquisser les contours de ma réflexion. C’est l’avantage des vieux diesels non conçus par des firmes allemandes… Mon filtre à particule neuronal emmagasine, puis un jour, libère un gaz de réflexion qui respecte et promeut l’environnement de tous.
Incontestablement, le fondateur du Grand Restaurant est dans le vrai, mais au regard de mon parcours culinaire de cette année, je m’interroge sur le qualificatif « cuisine de terroir », qui résonne comme une signature identitaire. Ce qualificatif ne vient-il pas réduire tout l’apport de l’auteur ? Est-ce que le terroir nourrit, ou au contraire cannibalise, la créativité et la signature du Chef ?
Est-ce qu’une cuisine de terroir est une cuisine d’auteur ? Un des meilleurs ambassadeurs du Jura ne serait-il pas Alain Passard avec son Homard au Vin Jaune ? Est-ce qu’olivier Rollinger n’a pas plus fait avancer la cuisine grâce à sa connaissances autour des épices venant du monde entier ? Leur territoire d’expression s’est construit autour de multiples terroirs…
Alors, faut-il encore envisager la cuisine de terroir comme une signature dans notre monde globalisé ? Est-ce qu’elle n’exclut pas l’idée même de la créativité ?
Si demain, un chef avait à penser sa nouvelle carte pour offrir une cuisine identitaire, ne devrait-il pas plutôt prendre en marqueur « son territoire » à la place de « son terroir ».
En termes de communication, le territoire est l’ensemble des éléments constitutifs de l’univers de la marque qui transparaissent dans sa communication et qui font en sorte qu’on la reconnaîsse (traits de personnalité, éléments récurrents..). C’est sa signature, le produit d’une histoire, de rencontres, de divers terroirs…
Un maître d’apprentissage, un voyage dans un pays exotique, une astuce de grand-mère, la discussion avec l’autre, tout contribue à créer une histoire pour qu’un jour, au cœur d’une carte, naisse un plat de mémoire. Qu’on se le dise, ce n’est pas la qualité du produit à ce moment-là ou la technique de cuisson qui compte : ils sont justes là comme éléments fédérateurs, l’essentiel c’est de cultiver son « territoire », terreau de la créativité…
Demain, plus les clients percevront le territoire d’un chef, sa signature, plus son attractivité sera forte, plus il sera sollicité pour faire découvrir son univers au plus grand nombre.
N’hésitez pas à prolonger l’ébauche de cette idée sur les réseaux sociaux… promis, je ne mettrais pas 10 ans pour vous répondre…