Pourquoi les chefs doivent et vont se désaxer des guides gastronomiques ?

Depuis 2 ans, la sortie du guide Michelin a un écho auprès des journalistes et du grand public qui étonne : l’année dernière, un certain vent de panique soufflait car c’était l’année du désamour : des chefs dans différents pays rendaient leurs étoiles en expliquant que le guide impose une pression qui n’est plus tenable.

Cette année et aussi pour la première fois, les retombées presse sont plus impactantes pour les maisons qui perdent que pour les maisons qui gagnent. Le guide, qui procure toujours de la joie, n’est plus aussi le rendez-vous du succès.

Ainsi, la sortie du guide qui se veut l’étendard des activités de Michelin Travel Partners (qui réalise en 2017 un chiffre d’affaires de 86 891 200 €, pour un résultat d’exploitation en perte de – 526 100 € ), est devenu une entité à part entière qui doit s’autofinancer. Elle représente cependant près de 60 % de retombées presse de la marque, et la gastronomie dans le monde résonne comme quête d’excellence : un bon écho pour les autres activités du groupe et des chefs ambassadeurs qui ne prennent pas de cachet au final pour citer la marque à chaque interview.

Cependant le guide doit s’adresser au consommateur et non plus aux chefs car en réalité la stratégie de cette branche pilotée par un compétiteur Pascal Couasnon (le N+ 1 de Gwendal Poullennec) et d’être au cœur du parcours consommateur et du bigdata, raison des rachats successifs des logiciels de réservation de tables pour garnir la place de marché Michelin Restaurant. Ainsi, des couches successives de technologies se sont empilées, liées à cette stratégie de croissance externe (14 au total !) pour arriver à créer une seule technologie ayant une dimension internationale pouvant enfin rivaliser avec le leader : Tripadvisor qui a 10 à 15 ans d’avance.

En conséquence, je perçois une volonté de positionner la marque en qualité de leader de préférence et plus leader de référence : car la place est prise par les avis de consommateur. Et lorsque vous souhaitez prendre une place de leader de préférence : en réalité vous devenez élitiste sans vous en rendre compte.

L’édition du guide Michelin 2019 est elle un millésime philosophique de « gastronomie pour une élite » versus « une gastronomie pour tous. »

Pierre Orsi, Guy Lassaussaie, Alain Dutournier, Marc Haeberlin et bien d’autres sont justement ces tables de « la gastronomie pour tous » où le consommateur sait qu’en famille ou entre amis, nous pouvons réserver 20 couverts et même choisir à la carte si on le souhaite ! Ces tables sont des lieux de célébration, de vie, de partage, ou l’on voit même des enfants en table en opposition à des tables recentrées, au menu unique, millimétrées qui ne déméritent pas dans leur art, mais qui posent de vraies questions à d’autres chefs qui aimeraient aussi prétendre aux distinctions suprêmes.

Michelin vend de la sécurité avant tout : c’est l’adn du pneu. Ainsi, il nous indique que la reconnaissance de la quête d’excellence est qu’il ne chaussera plus que des étoiles sur les tables de petites capacités ayant une offre limitée. Le guide réduit sa vitesse à 80 km heures, ne prenons plus de risque auprès des personnages médiatiques comme Marc Veyrat ou Sébastien Bras qui peuvent exister sans nous : expliquons leurs même qu’ils doivent repasser le code…

Nous pouvons cependant remarquer qu’une grande majorité des 2 et 3 étoiles de cette année sont des maisons de cuisiniers entrepreneurs et pas seulement appartenant à des financiers.

Alors le guide impose aux chefs français cette année un message, vous n’avez plus des étoiles depuis X années : vous avez une ou des étoiles pour ce millésime et c’est tout !

Cette culture est comprise dans les autres pays mais pas chez nous : par exemple les établissements qui donnent de l’écho dans les réseaux sociaux ne disent pas « L’édition du guide 2019 me distingue d’une étoile »: mais « j’ai des étoiles depuis X année… » en France on fête la longévité et pas la nouveauté car nous sommes un pays avec une histoire.

Nous aimons la performance dans la durée, le guide souhaite la performance comme une course de vitesse annuelle chronométrée en 365 jours et rythmée par une visite d’inspection.

Alors pourquoi se désaxer ?

Car ce n’est pas en 365 jours que l’on construit une identité culinaire, un territoire d’expression, un engagement envers ses fournisseurs, une expérience client. Il a bien une chose où je suis d’accord avec Gwendal Poullennec : le secret est de travailler pour ses clients, la rentabilité de sa maison : le guide en réalité est un accessoire de la stratégie d’un restaurant gastronomique.

Je me demande même pourquoi les chefs autorisent les inspecteurs à visiter les cuisines : ils ne sont pas porteurs d’une carte de service d’hygiène et leur seul discours est d’expliquer que pour l’étoile, seule l’assiette compte : ni le service, ni l’ambiance, ni la qualité de la cave pour les étoiles… alors pourquoi se présenter en fin de service et demander plus d’information ?

2019 est une nouvelle année, où les tables rétrogradées sont des tables en devenir et les déçus savent maintenant ou l’énergie est à mettre et bravo pour les lauréats !

Pour 2020, je fais juste un vœu : que l’annonce des pertes des étoiles soient faites avec plus de précaution et de considération car, quand on ne détient plus la place de leader pour guider le choix des consommateurs dans le monde, on se doit de faire preuve d’une certaine humilité et de bienveillance envers l’autre, nécessaires à tous pour construire l’avenir et le devenir de la gastronomie.

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