Yohann Chapuis, entre tradition et modernité : l’essentiel.

«  Le club des papas qui font le plein à Tournus », cela pourrait être un groupe sur Facebook : il regrouperait que des passionnés ; d’un côté les 4 restaurants étoilés de Tournus et de l’autre les papas qui expliquent à leur épouse qu’ils se sont fait rouler dans la farine par le vendeur automobile « vous faites facilement 800 kilomètre sans faire le plein ! avait-il déclaré »

Mais non, le papa responsable le sait ! Cette auto là ne part en vacances que vers 10 h 00 de Paris ou d’ailleurs, après 2 h 00 de route : elle n’a plus d’essence, alors période de restriction oblige, il sort de l’autoroute à Tournus pour payer moins cher le carburant et comme on vient de gagner un petit pécule grâce à cette substantielle économie : pourquoi ne pas s’arrêter déjeuner !

Vous l’avez compris, en attendant le procès que je vais coller à mon constructeur automobile, je vais vous raconter mes expériences à Tournus, parmi les 4 maisons, je me suis arrêté chez Greuze.

Ma première expérience date de 1997, j’avais rendez-vous avec Monsieur Ducloux, « Passez à 11 h 00 ! » m’avait dit le maître d’hôtel par téléphone. J’étais dans ma période d’évangélisation d’internet auprès des chefs.

Monsieur Ducloux était là assis proche de la cheminée, dans le salon près de la porte d’entrée, je me souviens de larges lunettes noires carrées, une canne, la pièce était vide, parfaitement installé, il m’attendait : j’avais rendez-vous avec un des monuments de la gastronomie française.

RO – « Je viens vous voir pour vous parler d’un projet qui regroupe des chefs pour mieux les faire connaître, nous faisons des photos et des vidéos, cela s’appelle Receptionfrance.com .. »

JD – « je ne fais pas de réception, moi Monsieur, vous êtes chez Ducloux »

RO – « Mais entendez par receptionfrance comme accueil en France, une sorte de site sur internet ou les touristes français et étrangers se connectent pour trouver des maisons.. »

JD – « Sur ? »

RO – « Internet Monsieur »…

JD – « Ah l’informatique, nous faisons les additions à la main…» Le rendez-vous allait être difficile… Et comme cela ne l’intéressait pas, il repris la parole..

JD – « Tu étais cuisinier chez André on m’a dit.. ? »

RO – « Plutôt avec Jean Paul, (comprenez Jeunet), Monsieur ».

JD – D’une voix plus élevée – « Oui mais c’est André qui fait la poularde au vin jaune, c’est sa recette ! »

Je venais de comprendre qu’un simple « Oui Monsieur » suffisait.. du haut de mes 24 ans, je n’avais ni l’expérience, ni les moyens d’avoir la répartie.

JD – « donc t’es plus cuisinier ? »

RO – « C’est exact, Monsieur, et je tente d’expliquer qu’internet est un média pas de l’informatique »

JD – « T’es journaliste ? »

RO – « Non pas exactement »

JD – « Bon j’y comprends rien, mais tu à l’air d’être un bon gars, tu restes manger ? »

La boule au ventre j’ai répondu « oui, Monsieur ». Car à l’époque il faut tout replacer dans le contexte, le prix d’un déjeuner, c’était le prix de la prochaine imprimante donc nous avions besoin dans la première agence web que j’avais fondé avec Sylvain…

Monsieur Ducloux appela un maitre d’hôtel qui était en veste blanche et nœud papillon noir, il s’exclama : « Un pâté, un rognon pour le jeune homme ».

Dès le premier plat, j’étais bluffé.. sans voix.. c’était l’époque où mes amis me parlaient de chanteurs que je ne connaissais pas et moi je parlais de Chapel, Vergé, Bocuse, Ducloux..etc..et j’étais enfin chez l’un deux.

A la fin du repas, j’ai demandé l’addition, on me répondit que j’étais l’invité de Monsieur Ducloux. Il était déjà parti, à mon grand regret je ne l’ai jamais revu…

Plusieurs années, plus tard, c’est Stéphanie et Yohann qui ont repris l’adresse, cela ne doit pas être facile tous les jours de reprendre une des 10 plus grandes destinations françaises de la gastronomie.

Il faut être précautionneux, attentif, sensible : des qualités qui leur ressemblent. Sur la carte dès la première page il est noté : La cuisine de Yohann Chapuis… entre tradition et modernité.

Quelques clin d’œil à Ducloux ; la quenelle par exemple. Mais nous nous laissons faire, c’est le déjeuner du dimanche, la salle est complète. Yohann est en salle, il assure le service du vin ; « Etienne est en convalescence pour 15 jours » m’explique Stéphanie, « Etienne c’est 26 ans de maison.. Je ne vois pas qui aurait pu d’autre reprendre le poste et puis Yohann, il aime le vin !»… Les clients sont ravis, sur chaque plat, il échange avec le chef qui à chaque table fait tomber délicatement une petite goutte sur la nappe pour marquer son territoire ! Pour notre table, Maillard pour le blanc, Groffier pour le rouge.

Vitalie engloutit son poisson, goûte dans tous nos plats, fini son dessert au chocolat préparé par Julien qui a fait l’école hôtelière de Poligny et avait repris mon ancien appartement d’’étudiant devenu entreprise… Il est maintenant un des proches collaborateurs de la maison et ce depuis 6 ans.

Le turbot, girolle & betterave est d’une émotion totale. La charmante Camille le présente en cocotte, les goûts sont authentiques, 3 saveurs, la cuisson rôtie sublime. Yohann me confia que Monsieur Lameloise lui expliquait qu’un plat doit en révéler une 4ème presque imperceptible qui sublime le tout…. Une pointe de tilleul, je crois, vient ajouter une touche exceptionnelle à la cuisson du poisson.

Sur chaque plat, pour le plaisir de mon épouse, les équipes en cuisine prépare un petit bol de sauce : au cas où…

A la fin du repas, les clients partis, nous échangeons avec la famille Chapuis : nous sentons que la création d’un plat n’existe pour eux que s’il a une histoire, ils leur arrivent d’avoir une base technique comme celle de l’œuf que je vous invite à prendre chez eux et au fil des rencontres ou des saisons, il est tantôt truffe, tantôt morille, il était escargot lors de notre passage.

La nouvelle salle a posé la maison, elle reflète le calme, une luminosité plus poussée pour contrebalancer son exposition plein sud, la pierre apparente rappelle que l’emplacement est un lieu de mémoire.

De Monsieur Ducloux, il ne leur reste malheureusement rien, tout a été dispersé, ils ont juste récupéré l’enseigne, pas un bibelot, pas un livre, pas une photo… Enfin c’est ce qu’ils pensent… Car en réalité ils ont tout de lui : la générosité, l’amour des autres, le partage et une véritable joie de vivre… Sans le savoir, ils ont gardé l’essentiel.

RESTAURANT GREUZE
1, rue Albert Thibaudet
71700 TOURNUS
Tél. : + 33 (0)3 85 51 13 52
Fax : +33 (0)3 85 51 75 42
contact@restaurant-greuze.fr

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